Portrait de l’artiste-comédien Bassirou Mbodji alias kombé

Bassirou Mbodji alias Kombé, chanteur de «Khassaïdes», a glissé vers les planches en 2003, malgré les remontrances de son père. Aujourd’hui, il s’est fait une place de choix dans le milieu, avec la fameuse série «Keur gui ak koor gui».

Un vent estival souffle dans le quartier Thialy, sis dans la commune de Thiès-Nord. En ce mois béni de Ramadan, les jeûneurs se sont réfugiés sous l’ombre des «nims». Des rues mal loties s’entrecroisent. Au bout de l’une de celles-ci, se dresse le domicile du jeune comédien Kombé. Bassirou Mbodji à l’état-civil, 27 ans, s’accroche aux dernières heures déclinantes d’une journée de Ramadan éprouvante, sur le canapé de son salon. Corps frêle, teint noir, c’est à peine qu’il supporte les ardeurs suffocantes du moment. Agent commercial depuis 2 ans, dans une société de la place, Kombé s’exerce au théâtre, à ses heures perdues. «J’ai choisi le théâtre par passion», confie-t-il, fier. Depuis le début du Ramadan, il se distingue dans la série «Keur gui ak koor gui» par son humour teinté de religiosité. Pour un rien, il fredonne une chanson. Le môme aime déclamer des poèmes religieux.

Kombé est un artiste né, plein de talent. Pourtant, le théâtre est loin d’être une affaire de famille chez les Mbodji. La famille ne compte aucun comédien, si ce n’est Kombé qui a transgressé les règles établies par son père (décédé). Un «Moukhadam» (grand dignitaire de la confrérie Tidiane) qui a instauré dans son foyer la rigueur islamique. Leur tradition familiale veut que ses membres soient des maîtres coraniques ou chanteurs de «Khassaïdes» (chansons panégyriques à l’intention du Prophète Mouhamed (PSL). Arabisant formé dans les écoles franco-arabes, Kombé n’a pas fait d’études françaises. Après ses études coraniques, il accompagnait ses frères, pendant plusieurs années, dans les cérémonies religieuses où il assurait les chœurs.

L’année 2003 marque ses débuts dans le théâtre. Kombé atterrit sur les planches avec la troupe «Roy kaay». La pression familiale n’y fera rien, les remontrances de son père non plus, tête baissée, il fonce, sans hésiter. Aujourd’hui, le jeune artiste se glorifie de plusieurs succès, notamment «La vérité», «31 décembre», «Dof bi», «Mélesse», «Keur Guèye», «Keur gui ak koor gui». «Je ne sens pas le succès. Car, je viens de débuter ma carrière», dit-il. La gloire en bandoulière, Kombé a fini de faire le tour du Sénégal. Un brin nostalgique, il se souvient de ce jour où Baye Cheikh, de la troupe «Djankeen» de Thiès, l’avait invité à participer à la prestation de «Trop, c’est trop». «Après la répétition, il m’a remis, avec mon ami Maniouk, 1 000 FCfa pour le transport. Cela représentait, pour nous, beaucoup d’argent. On était tout heureux. Nous avons marché pour rentrer chez nous et nous sommes partagé l’argent. Jusqu’à ce jour, cela me procure beaucoup de joie.»

Victime de quolibets : Pourtant dans la vraie vie, Kombé est calme et très réservé, loin du personnage agité, insolent, à la langue de vipère et qui se mêle de tout, dans la série télévisée «Keur gui ak koor gui». Il précise : «Il faut savoir distinguer la personne et le personnage», souligne-t-il. «Un jour, mon grand frère m’a dit que certains disent que je bois de l’alcool. C’est pourquoi, je suis si agité à la télé. Parce que quand je quitte les planches, je redeviens moi-même, c’est-à-dire calme et timide», confie-t-il. La main sur le cœur, Kombé jure qu’il n’a jamais fumé ni bu de l’alcool. Il se définit d’ailleurs comme un casanier. «Je ne fréquente pas les boîtes de nuit. Aujourd’hui, quand je vais dans ces milieux, c’est pour faire des prestations. A Thiès, il est difficile de me rencontrer dans la rue», jure-t-il.

Déception, regrets et amertume : Sa grande timidité cache un mal-être profond. Kombé n’aime pas voir des comédiens méprisés. Il veut qu’on respecte ses semblables. «Je me rappelle en 2011, la troupe s’est rendue à Dakar, au Cices, pour jouer une prestation pour un ministre de la République. On nous a fait comprendre que le ministre nous avait fait préparer le déjeuner. Nous sommes partis le matin à bord de notre car de location. Quand nous sommes arrivés à Dakar, nous nous sommes rendu compte que ce ministre nous avait fait faux bond», se souvient-il. Ce jour-là, les organisateurs de la manifestation entraient dans les maisons voisines pour nous chercher à manger. «Je n’ai pas mangé les restes qu’on nous présentait. Parce que j’avais vraiment mal dans ma chair. J’ai pleuré pendant toute une journée. J’étais choqué par le comportement de ce ministre de la République qui bénéficiait d’une grande notoriété. Ce jour, j’ai eu la plus grande peine de ma vie. C’était en 2011», dit-il avec amertume.

Sa vie a aussi été chahutée par des événements malheureux qui l’ont presque poussé à la sortie, à tourner le dos au théâtre. «Quand Mouhamed Ngui est décédé, j’ai senti la terre se dérober sous mes pieds. Cet artiste était un non-voyant, mais avait une forte capacité intellectuelle qui lui permettait de retenir par cœur tous les textes. Notre ami Kader Diop est aussi décédé le même mois. J’ai aussi perdu mon père le même mois. Un mois de deuil qui a failli me faire arrêter le théâtre», confie-t-il. Aujourd’hui, Kombé, le talent confirmé, vit bien de son art. «Le théâtre me permet de réaliser beaucoup de choses. Il y a des jeunes de mon âge qui n’ont pas cette chance de pouvoir s’offrir quoi que ce soit. J’ai même vu certains de mes aînés qui sont dans l’art et qui n’ont rien dans la vie.» Lui au moins, avec ses cachets, parvient à satisfaire les besoins de sa mère.

L’Observateur

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