C’est le propre des régimes moribonds, agonisants et à la dérive de donner au fil des jours des signes avant-coureurs de leur déchéance.
Au bord du gouffre, le régime socialiste du Président Abdou Diouf, honni par le peuple sénégalais qui en avait plus que marre des 20 ans de « senghorisme » et des 20 ans de « dioufisme », s’est proprement fait hara-kiri en portant le nombre des députés à l’Assemblée nationale de 120 à 150. Déjà, décriés et très controversés, les députés étaient considérés – et le sont toujours – comme grassement payés, qui plus est, avec les frais du contribuable sénégalais, pour en retour ne rien faire ou, à tout le moins, pour ne pas faire grand-chose aux yeux de leurs mandants.
Gagné par l’usure du pouvoir, l’immobilisme et son détachement vis-à-vis du peuple sénégalais (« Je ne le savais pas ! » disait-il invariablement à chaque fois qu’il était interpellé sur un problème qui faisait l’actualité et intéressait les Sénégalais au plus haut point), le Président Diouf très distant des préoccupations et des réalités que vivaient les populations, avait multiplié les bourdes dans les derniers jours de son règne et posé des actes incohérents, aux allures de chant du cygne.
Son successeur au pouvoir, le Président Abdoulaye Wade, n’a pas non plus échappé à cette règle non-écrite qui veut que les régimes qui courent à leur perte, deviennent comme fous en multipliant les gaffes et en additionnant les erreurs.
Outre les scandales à répétition, présumés ou réels, mais largement relayés par la presse à l’époque, la gaffe fatale qui aura précipité la chute du Président Abdoulaye Wade, a été sans doute le projet de loi portant ticket présidentiel couplé à l’élection du Président de la République, dès le premier tour, avec au moins 25% des suffrages. On connaît la suite, avec ce qu’il est convenu d’appeler « les évènements du 23 juin » qui ont porté sur les fonts baptismaux le fameux M23, la terreur du régime de Wade.
N’ayant pas retenu les leçons amères de ses prédécesseurs dont les régimes ont tenu quand même pendant 20 ans pour chacun (Senghor et Diouf) et 12 ans (Wade), avant de s’essouffler et de mourir de leur belle mort, le régime de Macky Sall a commencé à perdre son souffle et à péricliter au bout de 2 années de gouvernance seulement.
Cette situation est d’autant plus grave que Macky Sall ne saurait être taxé de novice par rapport à la gestion des affaires publiques, au regard de son très riche parcours à travers les plus hautes sphères de l’Etat, bonifié par sa chevauchée fantastique (le cheval est l’emblème de l’Apr) et son ascension fulgurante à la magistrature suprême.
Seulement, une fois l’euphorie de la victoire du 25 mars 2012 dissipée et retombée, et que la realpolitik a fini de reprendre droit de cité, les masques sont vite tombés, les uns et les autres se sont révélés sous leur véritable identité, ce qui n’était pas évident dans la nuit noire des lendemains post-victoire où tous les chats sont gris et ne jurent que par Macky Sall.
Les défections dans les rangs de Benno Bokk Yaakaar (Idrissa Seck, Youssou Ndour), la saignée au niveau du cabinet présidentiel (Madame Senghor, Moubarack Lo, Pr Malick Ndiaye), les limogeages de Me Alioune Badara Cissé puis du tout-puissant premier ministre Mimi Touré, et les tendances de plus en plus marquées à se démarquer du régime de Macky Sall par l’allié « Macky 2012 » ou par des chefs de partis qui avaient férocement combattu le Président Wade (Moussa Touré, Mamadou Lamine Diallo « Tekki », Cheikh Bamba Dièye) et la radicalisation de l’Opposition incarnée par le Pds du tribun Abdoulaye Wade ainsi que le Rewmi du bretteur Idrissa Seck, connus pour leur harcèlement du pouvoir, ont contribué à fragiliser davantage « la Mackie », poussée dans les cordes.
Mais, la descente aux enfers du Président Macky Sall se mesure plus au rythme d’institutionnalisation de pratiques surannées des gouvernants, et de survenue ou d’enchainement d’évènements malheureux qui ponctuent sa gestion chaotique et cahoteuse du pays.
Dans le désordre, on peut énumérer : les promesses électorales de Macky Sall qui ont fait pschtt, laissant les Sénégalais dépités et déçus, les relations heurtées entre le chef de l’Etat et le clergé maraboutique dont le poids électoral et l’influence sur les disciples sont déterminants à l’heure du décompte final, les frasques et manifestations d’arrogance des pontes du nouveau régime, le réchauffement du front social avec des syndicats sur pied de guerre, la crise chronique de l’école et de l’université sénégalaises qui sont à feu et à sang, l’instabilité gouvernementale (3 premiers ministres en 2 ans), la perpétuation de la dynastie Faye-Sall qui a jeté ses tentacules sur l’étendue des sphères de pouvoir et de décision,
les nombreux cas de violation des droits humains et d’atteinte aux libertés fondamentales (interdiction systématique de tenue de meetings ou de marches non organisés par le pouvoir ou ses affidés), les dérives d’un Etat policier et de plus en plus répressif, les interpellations manu militari et spectaculaires de leaders politiques ou religieux n’ayant pas les atomes crochus avec Macky Sall (Me Ousmane Ngom, Me El Hadji Amadou Sall, Bara Gaye, Karim Wade, Aïda Ndiongue, Cheikh Béthio Thioune, Hissène Habré, Sidy Lamine Niasse, Abdoulaye Baldé (arrestation avortée), etc.),
les déclamations de plus en plus violentes de sarcasmes anti-Macky Sall (« Deuk bi dafa Macky », « Macky grossit, le peuple maigrit », « Macky-Ebola », « Macky dou dem », « Macky dégage ! »), la floraison de mouvements contestataires (« Mouvement Réthiou », mouvements pour la libération de Karim Wade), le retour triomphal à Dakar d’un Président Wade pourtant quasiment chassé du pouvoir 2 ans auparavant, et accueilli par une foule hystérique aux cris de « Gorgui baal ñu dañoo juum », les parutions de brûlots qui secouent le régime (livres du Colonel Abdoulaye Aziz Ndao et du Professeur Malick Ndiaye),
les scandales de trafic de drogue dans la Police, de corruption dans la Gendarmerie et de fraude dans le secteur de l’Education, le mini-tsunami des élections locales du 29 juin dernier avec les villes de Dakar, Thiès, Ziguinchor et d’autres communes symboliques qui sont tombées dans l’escarcelle des adversaires du pouvoir, l’instrumentalisation de la justice pour instituer une « justice des vainqueurs » à la solde de l’Exécutif, de l’Apr et de la coalition au pouvoir (affaires Mansour Faye-Ameth Fall Braya, Mamadou Racine Sy-Aïssata Tall Sall),
les péripéties du procès de Karim Wade, et last but not least, la bourde-aveu du ministre Mbagnick Ndiaye qui dit et reconnaît être redevable – comme tant d’autres ministres – de sa nomination à la première dame, Marième Faye Sall, ont convaincu les plus sceptiques que ce régime de Macky Sall était décidément fou et condamné.
Mais, la goutte d’eau de trop, qui a véritablement fait déborder le vase, et qui a sonné l’hallali, le glas et le tocsin annonçant que le régime de Macky Sall est aux abois, c’est indubitablement la mort par balle, dans la tête, de l’étudiant Bassirou Faye, lâchement et froidement abattu, mais surtout à bout portant, par la soldatesque du nouveau régime, le jeudi 14 août 2014, à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, au moment où le Président Macky Sall, absent du pays, faisait la farniente et se prélassait à Paname où il se la coulait douce avec sa douce moitié, loin des tumultes sénégalaises et des déboires de ses compatriotes qui ont pourtant sué sang et eau pour l’élire même si c’est par défaut.
Au surplus, il est légitime de s’interroger sur l’intelligence, la maturité et la sagesse de nos gouvernants au regard de leur bévue magistrale, erreur d’appréciation et manque de maîtrise des réalités qui gouvernent notre société quand, très mal inspirée et manquant cruellement de jugeote, une délégation gouvernementale conduite par le ministre de l’intérieur Abdoulaye Daouda Diallo et qui avait à ses côtés les ministres Mary Teuw Niane et Yaxam C. N. Mbaye ainsi que le député Abdou Mbow, s’est rendu de manière irréfléchie et improvisée à Diourbel, dès le lendemain du meurtre de l’étudiant Bassirou Faye, pour présenter les condoléances de l’Etat du Sénégal à la famille éplorée alors que celle-ci n’avait pas encore fait le deuil car le défunt n’était pas encore inhumé et la peine pas suffisamment évacuée.
Mal leur en a pris, car échappant de peu à un lynchage populaire puis essuyant des huées et des chahuts monstres, les pauvres ministres envoyés par Macky Sall, chassés comme des malpropres et qui n’ont dû leur salut qu’en allant se refugier finalement à la gouvernance, ont vécu une journée d’enfer dont ils se souviendront toute leur vie.
On n’a pas besoin d’être un grand clerc pour savoir que le moment le plus pénible quand on perd un proche, c’est la période qui se situe entre l’annonce de la mort et l’enterrement. Cette douleur terrible et insupportable est d’ailleurs à l’origine du précepte islamique consistant à faire reposer sous terre le disparu au plus vite, une délivrance, pour soulager ses proches meurtris, leur permettre de se remettre de leurs émotions, de reprendre leurs esprits et enfin de recevoir les condoléances.
Décidément incorrigible et même pas fichu d’assumer ses responsabilités dans ce meurtre, le gouvernement de Macky Sall, par la voix de son ministre de l’intérieur, Abdoulaye Daouda Diallo, a encore insulté les étudiants taxés «d’être manipulés par une main invisible voire des forces tapies dans l’ombre et qui attisent le feu ». Comme quoi les étudiants, majeurs, libres et responsables, étaient incapables de prendre en charge, tous seuls, leur propre combat contre l’injustice et le manque de respect de la part d’un gouvernement qui a fini d’étaler à la face du monde, les preuves tangibles de son incompétence et de sa médiocrité.
Si l’on sait à quel point la mort de l’étudiant Balla Gaye, tombé sous les balles, le 31 janvier 2001, sur le même théâtre d’opérations, avait empoisonné et hanté la vie du régime du Président Wade, on ne donne pas très cher des chances de survie de la « Mackie » dont les jours sont désormais comptés.
Pape SAMB