L’immunité de Khalifa Sall est levée, l’opposition doit sortir du «politiquement correct», Mamadou Bodian*

La levée de l’immunité parlementaire de Khalifa Ababacar Sall le samedi 25 novembre dernier, même suite à la demande du Procureur, est l’expression d’un abus de la majorité parlementaire. Elle inaugure une nouvelle phase du processus de liquidation politiquement programmée d’adversaires politiques par les tenants du régime en place. Emprisonné depuis mars 2017 dans le cadre de la gestion de la caisse d’avance de la mairie de Dakar, Khalifa Sall qui est entre temps élu député à la suite des législatives de juillet 2017 devrait – si l’on en tirait les conséquences de droit – sortir de prison pour siéger à l’Assemblée nationale avant toutes discussions sur la levée de son immunité parlementaire. L’article 51 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale stipule que le député est couvert par l’immunité à compter du début de son mandat qui prend effet dès la proclamation des résultats de l’élection législative par le Conseil Constitutionnel. Paradoxalement, et contre le bon sens, le député Khalifa Sall n’a pas bénéficié de la protection de la loi qui lui accorde une immunité. Plus ahurissant encore, le Procureur de la République a demandé et obtenu de l’Assemblée nationale la levée de l’humanité du député-maire de Dakar emprisonné, sans avoir entendu son avis.

Depuis le 25 novembre dernier, les analyses se multiplient faisant état des vices de procédures dans le processus ayant conduit à la levée de l’immunité parlementaire de Khalifa Sall. Mais ramener le problème à sa dimension purement procédurale, c’est diffuser un faux éclairage sur une vraie question politique puisque la majorité parlementaire s’est caché derrière un argument légal pour dérouler un agenda éminemment politique. Le problème concernant la levée de l’immunité parlementaire de Khalifa Sall ce n’est pas que l’Assemblée nationale, comme le soutiennent les partisans du régime de Macky Sall, puisse donner l’autorisation de poursuivre ou d’arrêter un parlementaire en matière criminelle ou correctionnelle. Le problème c’est plutôt la conduite du processus qui cache mal une tentative savamment orchestrée pour mettre hors-jeu celui qui apparait aujourd’hui comme un challenger potentiel de Macky Sall en 2019.

La levée de l’immunité parlementaire de Khalifa Sall ne doit pas être considérée comme un fait divers de la politique. Son enjeu dépasse la personne du maire de Dakar. A l’image de l’exil politique forcé de Karim Wade (candidat désigné du PDS pour 2019) écarté arbitrairement de la scène politique ou encore la radiation de la fonction publique d’Ousmane Sonko (leader du Pastef), l’affaire Khalifa Sall entre dans le cadre d’une stratégie bien pensée du régime de Macky de liquider les adversaires politiques sérieux en instrumentalisant la justice, l’administration et la majorité au parlement. Tout cela se passe, malheureusement, sous le regard troublé d’une opposition qui n’est unie que dans la dénonciation, mais incapable d’engager un rapport de force contre le régime en place qui foule du pied les règles élémentaires du jeu démocratique.

L’opposition doit avoir l’intelligence de la situation et être plus stratégique. Avec la configuration actuelle de l’Assemblée nationale au sein de laquelle elle commence à subir la tyrannie de la majorité, s’enfermer dans des débats de procédures est la plus grande distraction à laquelle l’opposition pourrait se livrer. L’urgence pour elle devrait être de transférer le champ de la bataille politique hors du parlement et sur le terrain des mobilisations ou des protestations populaires, en créant des jonctions avec d’autres forces pour s’opposer aux dérives anti démocratiques du régime en place, la mal gouvernance, et le non-respect de l’état de droit dont l’affaire Khalifa Sall et bien autres qui l’ont précédées ne sont que les expressions manifestes.

Le régime de Macky Sall est dans une logique de reconquête du pouvoir et il ne faut pas s’attendre que ses tenants au parlement respectent les règles du jeu. Ils l’ont déjà démontré lorsque, le 27 octobre dernier, ils sont passés par la commission des lois – en lieu et place de la plénière – pour installer commission ad hoc en vint quatre heures au lieu de quarante-huit heures. Le président de l’Assemblée nationale n’a pas réservé de suite favorable à la requête de son collègue Issa Sall du Parti de l’unité et du rassemblement (PUR) qui avait demandé la création d’une commission ad hoc pour la suspension des poursuites contre Khalifa Sall. La décision prise de soumettre en séance plénière, le samedi 25 novembre dernier, la résolution proposant la levée de l’immunité parlementaire du maire de Dakar – sans l’avoir entendu au préalable – est une violation fragrante de l’article 52 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale qui stipule que le député poursuivi doit prendre la parole lors de cette séance. Mais la vérité est que ces vices de procédures n’ont aucune importance au regard des enjeux politiques pour la majorité au pouvoir qui s’est donnée les moyens politique d’évacuer de l’hémicycle l’affaire Khalifa Sall qui est désormais entre les mains du Procureur de la République.

L’opposition doit sortir du «politiquement correct» pour adopter la politique du coup par coup. L’invalidation discursive des vices de procédures qui ont émaillé le processus de la levée de l’immunité parlementaire du député Khalifa Sall aurait pu conduire à la libération de ce dernier si le discours était sous-tendu par une action politique d’envergure pour empêcher le coup de force des députés de la majorité.

Heureusement qu’en politique, rien n’est jamais perdu d’avance; tout est en perpétuelle gestation. L’opposition doit donc arrêter de subir les actions du régime de Macky Sall pour reprendre en main son destin politique sous peine de s’éterniser dans les réactions après coup. Mais si les leaders de l’opposition s’évertuent, comme ils en ont l’habitude, à parcourir les plateaux de télévision pour dénoncer la cabale politico judiciaire dont  est victime Khalifa Sall, le sort politique de ce dernier va être scellé à tout jamais. Il n’y a pas de doute qu’avec la levée effective de son immunité parlementaire, Khalifa Sall va tout irréversiblement vers un procès qui risque de l’anéantir politiquement. Les conséquences de sa condamnation sont connues d’avance: le député qui est condamné est radié de l’Assemblée nationale. Une délégation spéciale sera certainement imposée par les tenants du pouvoir pour gérer les affaires courantes de la mairie en attendant les élections locales de 2019. Les Sénégalais vont s’indigner pour quelques temps, mais vont surement vaquer à leurs occupations habituelles si aucune action n’est prise pour les mobiliser et faire face à la forfaiture.

 Si elle veut reprendre la main à la prochaine manche et déjouer les tentatives du régime en place de l’affaiblir à travers la décapitation politique de ses leaders, l’opposition doit investir le terrain de l’organisation stratégique et se préparer à engager un véritable rapport de force. Et ce n’est pas à travers les analyses expertes et savantes sur les plateaux de radios et de télévisions qu’elle gagnera le combat pour la libération de Khalifa Sall et les futures batailles politiques en perspective des locales et de la présidentielle de 2019.

*PhD en Sciences politiques, SG Adjoint de la JDS

COMMENTAIRES
    Publiez un commentaire