Le Mali, la crise en Afrique de l’Ouest et les mandats présidentiels : Quelle lecture ?

Les élections frauduleuses, le déficit de libertés, la justice aux ordres tout comme les manipulations constitutionnelles relèvent tous de la même origine : le système postcolonial en vigueur depuis l’avènement des « indépendances » en 1960. Nous nous efforcerons, dans les lignes qui suivent, de soumettre notre approche pour une relance concertée de la lutte pour la libération et l’émancipation des peuples d’Afrique, pour mettre fin aux stratégies occidentales de prédation.

Manifestement, les forces qui dominent et pillent l’Afrique et celles qui se battent pour sa libération et son émancipation ne parlent pas de la même Afrique. Les appareils idéologiques dominants de l’Occident ont toujours joué un rôle essentiel dans le formatage des consciences en Afrique. Des officines puissantes, dotées de moyens conséquents avec des experts à la pointe de leur domaine de connaissances y travaillent tous les jours sans désemparer. Les conséquences de cette stratégie dans nos esprits et nos formes de consciences sont d’une profondeur insondable.
Noam Chomsky, linguiste, philosophe, politologue américain de renommée mondiale et enseignant au Massachussetts Institute of Technology (MIT), l’une des plus prestigieuses écoles des Etats-Unis d’Amérique, a produit une réflexion pénétrante sur la manipulation des consciences qu’il intitule : « les 10 stratégies de manipulation de masses ».https://nospensees.fr/les-10-strategies-de-manipulation-de-masse-selon-noam-chomsky/
Il s’explique ainsi : « Au cours des 50 dernières années, les progrès fulgurants de la science ont creusé un fossé croissant entre les connaissances du public et celles détenues et utilisées par les élites dirigeantes. Grâce à la biologie, la neurobiologie et la psychologie appliquée, le « système » est parvenu à une connaissance avancée de l’être humain, à la fois physiquement et psychologiquement. Le système [nous soulignons] en est arrivé à mieux connaître l’individu moyen que celui-ci ne se connaît lui-même. Cela signifie que dans la majorité des cas, le système détient un plus grand contrôle et un plus grand pouvoir sur les individus que les individus eux-mêmes. Pourquoi croyez-vous que les grands politiques utilisent et payent largement des instituts importants des sciences humaines ou des grandes sociétés de publicité » ? Fin de citation.
Ce mécanisme fonctionne merveilleusement bien en Afrique où les « élites » s’entre-déchirent, entraînant dans leur sillage des franges importantes de la population, autour des notions de constitution, de lois, de république, de mandats présidentiels, d’état de droit etc. Or ces notions n’ont pas grande signification pour ces populations qui résument le tout dans leurs propres notions comme celles de « buur » (le roi) et de « ngur » (la royauté). C’est pourquoi lorsqu’on nous dit que la loi est là pour tous et que la constitution protège et promeut les droits et libertés de tous, nous répondons qu’il n’en est rien. Dans toute société, la loi n’a jamais été rien d’autre que la codification d’un rapport de forces entre classes et groupes sociaux à l’intérieur de cette société, à une période donnée de son histoire. La loi est toujours au service de ceux d’en haut au détriment de ceux d’en bas. Si ceux qui exercent le pouvoir sont au service du plus grand nombre, alors les lois serviront le peuple. Dans le cas contraire, les lois serviront la minorité au détriment du peuple.
Hitler, arrivé au pouvoir par des voies démocratiques, a réussi à imposer une dictature fasciste et à embraser le monde grâce à un corpus juridique et un puissant appareil idéologique répondant à un besoin d’embrigadement de la jeunesse allemande autour d’objectifs aux antipodes des intérêts fondamentaux de celle-ci et de ceux du peuple allemand dans sa globalité.
Plus près de nous, le régime d’apartheid en Afrique du Sud avait également élaboré ses lois qui établissaient la séparation des races. Ces lois ont permis, entre autres ignominies, de déposséder les noirs pourtant majoritaires dans le pays de leurs terres. Elles ont permis de parquer les noirs dans des réserves, les transformant ainsi en étrangers sur leurs propres terres, celles de leurs ancêtres. Lorsque Nelson Mandela et les autres Walter Sisulu, Oliver Tambo, Govan Mbeki, Robert Sobukwe, Steve Biko … se sont rebellés contre ces lois, ils ont été arrêtés au nom des lois en vigueur, torturés, condamnés et envoyés croupir des décennies durant dans les geôles du système ou simplement assassinés.
Dans les anciennes colonies françaises d’Afrique (hormis la Guinée qui avait voté ‘NON’ au référendum Gaullien de 1958), ont été implémentées, en 1960, des avatars de la constitution de la Vème république en France, qui y consacraient des monarques républicains, tout puissants vis-à-vis du peuple, mais très accommodants pour la métropole. Ces constitutions et ces lois sont ignorées de 80% des populations auxquelles elles s’appliquent parce que libellées dans une langue qu’elles ne parlent ni ne comprennent. Elles auraient dû être, à tout le moins, rendues dans nos langues maternelles et largement vulgarisées par les tenants du pouvoir postcolonial si l’objectif était réellement inclusif. Ce silence à lui tout seul illustre à suffisance l’exclusion délibérée et planifiée des populations de tout processus qui se met en place.

Aujourd’hui, après 60 années « d’indépendance » nous avons 150 millions d’africains dans l’espace francophone africain, qui sont gouvernés par des constitutions et des lois dont ils ne savent rien. L’Afrique est le seul continent où on vous attrait devant la barre, vous juge, vous condamne et vous envoie en prison dans une langue que vous ne comprenez pas.
Chez nous au Sénégal, alors qu’un pluralisme politique vivant était en vigueur à l’époque coloniale, le pays bascula au bout de cinq ans seulement après les indépendances dans l’ère du parti unique et de la répression féroce de l’opposition. Mais l’explosion socio-politique de Mai-68 et la poursuite des mouvements de contestation du système postcolonial ont fortement secoué les milieux économiques français et fait évoluer le rapport de forces en faveur des secteurs démocratiques au cours de la décennie 70. Le Président Senghor fut obligé de lâcher du lest en autorisant l’existence de trois puis quatre partis politiques à travers la loi des courants politiques. D’ailleurs, le maintien de la pression des forces démocratiques a fini par entraîner le départ de Senghor le 1er janvier 1981 et l’avènement d’Abdou Diouf qui institua, quelques mois plus tard, le multipartisme intégral. L’on voit ici que lorsque le rapport de force évolue en faveur des revendications démocratiques, la loi aussi évolue pour s’ajuster au nouveau rapport de forces.
Ces rappels illustrent parfaitement cette vérité de base selon laquelle, pour l’essentiel, les constitutions et les lois qui nous gouvernent depuis les « indépendances » ont pour vocation la protection des intérêts étrangers et ceux de leurs représentants locaux et non ceux des peuples auxquels elles s’appliquent. Pourquoi dans nos prisons croupissent des jeunes gens reconnus coupables de vente de quelques cornets de chanvre indien tandis que ceux, épinglés pour trafic de drogue dur portant sur des dizaines ou des centaines de milliards cfa en sont extraits pour aller vaquer librement à leurs occupations ?
Si la loi n’était pas en faveur de la minorité, des centaines de milliers d’ha à travers tout le pays auraient-ils été arrachés à leurs ayants-droits (ceux d’en bas), dans les conditions les plus obscures au profit de privilégiés y compris des étrangers qui ne sont même pas africains ?
N’est-ce pas encore la constitution et la loi qui ont été modifiées ici au Sénégal pour exclure une vingtaine de candidats sérieux et crédibles à l’élection présidentielle de février 2019 parmi lesquels Karim Meïssa Wade et Khalifa Sall tous deux privés de leurs droits d’élire et d’être élus ?
C’est sur la base de ces faits que l’on doit examiner la problématique des mandats présidentiels en Afrique de l’Ouest. C’est aussi sur cette base que le combat du peuple africain doit rester centré sur son objet qui consiste à mettre fin au système postcolonial pour l’avènement de véritables alternatives populaires.
L’on dit souvent que tout ce qui brille n’est pas de l’or. Le mouvement actuel de contestation des troisièmes mandats et, d’une façon générale, contre les dérives autocratiques des pouvoirs en place en Afrique est, certes, à vocation démocratique mais son contenu, progressiste ou rétrograde, est déterminé, en dernière instance, par les forces qui l’impulsent et le dirigent. En effet, nous avons en son sein des courants contradictoires avec d’un côté, le courant démocratique et, de l’autre, un courant en osmose avec le système dominant. Ce denier courant peut soutenir, dans la compétition électorale, des candidats différents mais à l’intérieur du système. C’est pourquoi, pour les populations, « ils sont tous pareils ».
Au Sénégal, ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui étaient hier d’ardents défenseurs de la démocratie dans l’opposition. Mais, une fois installés aux commandes de l’État, on les voit s’efforcer d’annihiler nombre d’acquis démocratiques qu’ils prétendaient vouloir renforcer. Oui ! L’alternance en soi ne change pas qualitativement le sort du peuple. Dans de telles circonstances, quelle que soit l’âpreté des luttes entre factions pour le pouvoir, les mandats restent des mandats « ay-ayloo* », c’est à dire des mandats au service des mêmes intérêts concubins, ceux de la bourgeoisie bureaucratique agglutinée autour de l’appareil d’Etat et ceux de ses commanditaires c’est-à-dire les puissances extérieures.
Les forces progressistes ont le devoir d’éclairer la jeunesse sur ces caractéristiques des mouvements politiques en cours afin de l’amener à s’organiser pour que leur combat démocratique y compris les batailles autour des mandats ne soit dévoyé et finalement récupéré par des fractions de cette bourgeoisie compradore et bureaucratique mais servent de tremplin pour promouvoir des alternatives populaires. Sinon, il ne restera alors à la chèvre qu’à choisir entre l’hyène et le chacal, c’est-à-dire non pas sa survie mais plutôt son genre de mort. Cette exigence est d’autant plus actuelle que c’est toute l’Afrique de l’ouest qui est assise sur des braises comme le montre le tableau ci-dessous :
Tout d’abord le géant de la région, première puissance économique du continent, le Nigeria est fortement contrarié par Boko Haram qui lui impose une guerre civile sans merci et qui métastase jusqu’en Afrique Centrale (Cameroun, Tchad). Le Président en place a déjà indiqué qu’il faisait son dernier mandat mais il est clair qu’aussi longtemps que le Nigeria sera dans cette situation de guerre, toute perspective de stabilité et de prospérité dans la sous-région sera fortement hypothéquée.
Au Niger, le Président ne briguera pas de troisième mandat certes, mais l’opposition nigérienne indique que la constitution est déjà piégée pour exclure le principal opposant de la compétition. D’ailleurs, celui-ci vient à peine de sortir de son deuxième séjour en prison. Le Niger qui vit la pire crise sécuritaire de son histoire postcoloniale et que ses immenses richesses notamment l’uranium n’empêchent pas d’être le dernier pays au monde dans l’indice de développement humain (IDH) avec 75% de sa population vivant sous le seuil de pauvreté.
Le Burkina Faso aussi est dans l’œil du cyclone avec des ennemis armés insaisissables, semant la mort et la désolation au nom de l’islam, y compris en massacrant des musulmans rassemblés en prières dans les mosquées. Tandis que l’Etat tente de donner le change et d’évoquer des échéances électorales, des zones entières du pays semblent échapper au contrôle de l’Administration centrale.
En Côte d’Ivoire, le Président sortant non seulement va briguer un troisième mandat, mais a obtenu l’exclusion de la compétition d’adversaires parmi les plus redoutables. La Côte d’Ivoire du café-cacao et des autres richesses du sous-sol pourrait ainsi connaître des troubles et des souffrances auprès desquels ceux de la décennie 2000 ne seraient qu’un détail dans l’Histoire du pays. En effet, certains observateurs considèrent que les comptes politiques et personnels entre acteurs n’avaient pas été entièrement soldés en 2010-2011 en dépit de la guerre civile et ses trois mille morts. Ils estiment qu’en conséquence, chaque camp a mis ces dix dernières années à profit pour se préparer à ce qui pourrait arriver. Le thème de la réconciliation nationale brandi par le pouvoir et qui aurait dû structurer toute la décennie post-guerre civile est resté un slogan creux alors cette réconciliation aurait pu stabiliser le pays et écarter tous les vieux démons qui sont aujourd’hui hélas, plus présents qu’hier.
Au Mali, le mouvement démocratique et populaire a réussi à destituer le Président de la République en exercice ouvrant ainsi une transition. Dans ce pays, avec son or et ses autres minerais qui seraient en quantités astronomiques, quelle direction prendra la transition ? Si la concertation qui s’est tenue à Bamako avec une représentation adéquate de toutes les composantes du peuple pouvait déboucher sur une nouvelle constitution, reflet des aspirations profondes du peuple malien dans sa diversité, un grand coup de boutoir serait donné au système postcolonial pour de nouvelles relations bâties sur de nouveaux paradigmes plus durables parce que plus équitables. Mais les divergences sur le contenu de la transition publiquement assumées par le M5-RFP initiateur et organisateur de la contestation ayant emporté Ibrahim Boubacar Keïta avec le CNSP (l’Armée), auteur du coup de force qui a déposé Monsieur Keïta, indiquent que dans le processus en cours, on ne peut exclure l’hypothèse que d’autres intérêts puissent l’emporter sur ceux du peuple malien.
En Guinée, le ‘NON’ au référendum de 1958 proposé par le Général de Gaulle fait que ce pays n’a pas la même histoire en matière institutionnelle que les autres anciennes colonies françaises. D’ailleurs, jusqu’en avril dernier, la constitution en vigueur dans le pays provenait d’un organe de transition (le Conseil national de transition) et avait été promulguée par un Président de la République par intérim en mai 2010. Cette constitution n’avait pas été soumise à l’approbation du peuple par voie référendaire. Elle a été récemment remplacée par une nouvelle constitution, soumise à un référendum populaire boycotté par l’opposition au motif qu’elle permettait au Président en exercice de briguer un autre mandat. Ce rejet a été accompagné de manifestations marquées par de graves violences avec pertes en vies humaines et destructions matérielles. Toutefois, aujourd’hui, le principal leader de l’opposition dans ce pays et son parti ont décidé de prendre part à l’élection présidentielle d’octobre prochain. Nous noterons que la Guinée est le château d’eau de la sous-région avec des richesses inestimables dans son sous-sol.
En Mauritanie, entre le Président nouvellement élu et son prédécesseur, le torchon brûle ce qui aggrave une situation déjà très tendue du fait de vieilles contradictions qui travaillent la société mauritanienne depuis bien longtemps. Dans ce pays voisin, du pétrole et du gaz ont été découverts en sus du fer déjà exploité et des côtes extrêmement poissonneuses.
Le Liberia et la Sierra Leone sont en convalescence après avoir connu chacun une décennie de guerres civiles avec des souffrances indicibles.
Le tableau ci-dessus fait de notre sous-région l’une des zones de tempête les plus agitées au monde. Les patriotes africains de cette zone auraient terriblement tort de ne pas renouveler leur pensée politique pour se mettre à la hauteur des exigences du moment. Qui peut penser que cette situation va en rester là, avec des états affaissés, des populations exsangues, une jeunesse nombreuse et sans emploi, et des richesses pompées sans arrêt ? Non ! Le couvercle de la marmite finira par sauter si de très sérieuses réformes ne sont pas apportées dans le sens d’une meilleure prise en compte des intérêts des populations.
L’on aura remarqué par ailleurs que les officines traitent différemment la question des mandats présidentiels en Afrique selon le type de rapports existant entre les puissances dominantes et les régimes locaux. Par exemple, sur les cas ci-dessous, elles ne donnent pas de la voix et évitent soigneusement d’attirer l’attention sur ces expériences même si les raisons peuvent être différentes d’un pays à l’autre :
Au Cameroun, le Président est aux affaires depuis 1982 soit bientôt 40 ans.
Au Tchad, le Chef de l’Etat est en place depuis 1990 soit trente ans.
Au Togo, le Président a entamé son quatrième mandat en début 2020.
Au Rwanda Kagamé, qui est aux affaires depuis 20 ans, a finalement fait supprimer la limitation des mandats.
En Libye, sous Khadafi (1969-2011), il n’y avait pas d’élections au suffrage universel pour élire le Chef de l’Etat.
On le voit, c’est toujours le rapport de forces qui détermine la conduite des officines et non le rapport à la démocratie et au respect des intérêts des peuples concernés. Il fut un temps où Khadafi plantait sa tente en plein Paris, mais lorsqu’il leur est apparu que des plages d’entente n’étaient plus possibles avec lui, ils trouvèrent le moyen de l’abattre créant ainsi une crise sécuritaire inextricable dans ce pays et dans tout le Sahel.
L’on se souvient qu’au Zimbabwe, pendant des décennies, le Président Robert Mugabe, grand combattant de la libération du peuple Zimbabwéen, avait préféré différer la question de la rétrocession des terres détenues par les blancs aux africains comme le stipulaient les accords de Lancaster House. Pendant toute cette période, les officines et les gouvernements occidentaux ne se sont jamais intéressés aux élections dans ce pays. Mais il a fallu que Mugabe soulevât enfin la problématique de la rétrocession des terres aux africains pour qu’ils se mettent subitement à s’intéresser à la démocratie et aux élections au Zimbabwe et à découvrir que celles-ci n’étaient, selon eux, ni honnêtes ni transparentes.
Les exemples pourraient être multipliés.
Venons-en au Sénégal où le métabolisme politique a été profondément chamboulé avec l’élimination à la dernière présidentielle de février 2019 de nombreux candidats sérieux et où les trois prochaines années risquent d’être marquées par une controverse paradoxale sur un troisième mandat de l’actuel Président de la République. D’ailleurs nous n’excluons pas l’hypothèse qu’une telle controverse soit alimentée et entretenue par des spécialistes de la manipulation avec pour objectif d’ancrer d’ores et déjà dans les consciences la faisabilité d’une telle hypothèse.
Ce faux débat prendra un temps précieux qui aurait pu être utilisé à meilleure fin dans un pays où pétrole et gaz sont découverts (en haute mer) en sus de l’or, du zircon, etc. et où la pauvreté était au coude-à-coude avec le taux de croissance avant de prendre, hélas, la tête de la course dans un contexte de pandémie qui garrotte littéralement l’économie.
En dépit de la bonne volonté jamais démentie de l’essentiel de l’opposition depuis le début du dialogue, des signes apparaissent de plus en plus montrant le peu d’enthousiasme de certains cercles du pouvoir à faire les concessions nécessaires à des consensus sur les modalités de dévolution démocratique et pacifique du pouvoir et d’une vie démocratique apaisée. Le Sénégal est le seul pays dans la sous-région, avec le Cap-Vert, à n’avoir jamais connu l’intrusion de militaires dans ses affaires politiques. Nous devrions en être fiers et nous mettre à la hauteur des exigences de la situation de crise que traverse la sous-région. Nombre de facteurs qui ont créé ou accéléré la crise politique et sécuritaire dans d’autres pays en Afrique de l’Ouest, sont présents au Sénégal. Il est donc impérieux que des dynamiques réformatrices profondes s’enclenchent pour garantir la paix et la stabilité par la sauvegarde et le respect des droits des uns et des autres. C’est aussi cela qui pourrait permettre par la suite à notre pays de jouer un rôle essentiel dans les efforts pour un retour durable de la paix et de la stabilité dans la sous-région. L’intérêt du peuple Sénégalais n’est nulle part ailleurs.
Il faut que la jeunesse africaine comprenne ces enjeux qui enjambent les frontières de nos états respectifs. Elle doit aller aux causes de la crise africaine, par-delà les explications qui leur sont proposées par les officines. Elle comprendra alors que toutes ces constitutions et leurs variantes dont on nous a dotés depuis 60 ans doivent être à présent remplacées. Nos pays ont besoin de concertations où les différentes composantes du peuple se retrouvent autour de leurs récits respectifs, dans le respect et la considération réciproques et un sens élevé des responsabilités pour féconder de véritables constitutions à leur service. Ces constitutions seront conformes à leur histoire, à leurs identités, à leurs intérêts actuels et à ceux des générations futures. Cette voie est la seule pour que l’Afrique puisse se faire entendre dans le concert des nations. Pour l’heure, l’Afrique qui existe et dont parlent les autres est une Afrique objet et non une Afrique sujet. Une Afrique à terre que l’on dépèce et que l’on se partage et non une Afrique qui assume son destin.
Un journaliste français très au fait des rapports entre l’occident et l’Afrique, Nicolas Baret, a pu dire avec beaucoup de lucidité que le monde était à un tournant crucial de son Histoire, que c’était l’avenir des nations qui se jouait et qu’il se jouait en Afrique.
Le sénat français n’a pas été moins disant qui indiquait clairement il y a quelques années que : « l’Afrique est l’avenir de la France ».
Le Président Jacques Chirac rappelait de son côté, je le cite : « Nous avons saigné l’Afrique pendant quatre siècles et demi ».
Quant au Président François Mitterrand, il faisait remarquer en 1988 que « chaque franc investi au Sud rapporte 8 francs au Nord ».
De fait il est depuis toujours établi que l’Afrique est le champ clos d’âpres rivalités entre grandes puissances du monde. Chacune d’entre elles y a ses ambitions, ses objectifs et ses projets. Nos récriminations, nos indignations et nos lamentations n’y feront rien. Seule la construction d’un rapport de forces en notre faveur changera positivement les choses.
Il n’est pas possible que le continent soit le plus riche de la planète, notamment sa partie au sud du Sahara alors que ses populations continuent de croupir dans la pauvreté et la misère et à crever de faim.
La construction de ce rapport de force convoquera foncièrement notre intelligence et notre lucidité. Si l’on sait qu’il y a deux ans, le PIB de toute l’Afrique réunie était inférieur de 150 mille milliards de cfa au PIB de la seule France ; si l’on sait également que la France est à son tour partie prenante de l’Europe de 27 états, l’on comprendra alors pourquoi nous parlons de lucidité. D’où proviennent l’essentiel de ces richesses ? Quelle est, par exemple, la part de l’Afrique dans ce PIB de la France ? Selon Nicolas Baret, sur le bénéfice de 12 milliards d’euros réalisé par TOTAL il y a quelques années, les 40% provenaient de l’Afrique soit plus de 34000 milliards de cfa à l’époque et plus de huit fois le budget du Sénégal aujourd’hui !
Comment, devant autant de défis internes et autant de partenaires » puissants, l’Afrique peut-elle peser dans la balance générale alors qu’elle-même est dans une posture de double dispersion ? Dispersion entre les Etats qui ne parlent jamais le même langage parce que leurs dirigeants ne sont pas libres dans la plupart des cas, mais aussi dispersion à l’intérieur même des Etats entre des forces politiques, sociales et citoyennes qui, tout en revendiquant les mêmes préoccupations libératrices et émancipatrices pour le continent, pensent, chacune en ce qui la concerne, détenir, à elle toute seule, la clé de victoire ?
Il est vrai qu’en dépit de leur immensité, nous pouvons relever les défis car si nous décidons d’être forts, non en théorie mais en pratique, nous le serons parce que nous sommes dans notre bon droit. Le droit d’exiger ce qui nous revient : gérer souverainement nos ressources, inventer nos constitutions et nos lois sur la base des fondamentaux que partage l’Humanité et selon notre identité propre. Bref le droit d’inventer et de construire notre futur.
Si l’avenir de l’Humanité se joue en Afrique, nous devons alors donner plus de poids aux actes qu’aux discours. Passer de l’interprétation de l’Afrique à sa transformation en sujet politique. Pour cela, nous devons admettre avec humilité les erreurs et les échecs relatifs des forces politiques et citoyennes qui ont eu à se fixer cet objectif depuis toujours. Leurs luttes et leurs sacrifices ont produit des avancées notables mais l’objectif reste encore à être atteint. Nous devons accuser de moins en moins la pluie et le gazon pour justifier nos défaites sur le terrain et remettre plutôt en question les stratégies et les approches. Chacun doit y travailler en commençant par son propre pays « mbey ci sa wewu tànk » ‘balayer d’abord devant sa porte’ tout en faisant provision de matériaux nécessaires à la construction d’une Afrique pour soi.
De fait, ceux qui travaillent à empêcher la réalisation de nos rêves d’Afrique sont ultra minoritaires dans nos pays respectifs. Ils ne se recrutent pas exclusivement dans le camp des pouvoirs en place. Ils sont dans les pouvoirs mais aussi dans les oppositions tout comme ceux qui veulent la libération et l’émancipation des peuples d’Afrique ne se retrouvent pas seulement dans les oppositions mais se distribuent de part et d’autre.
Nous devons isoler les briseurs de nos rêves d’Afrique et cela est possible car même celui qui courbe l’échine ne préfère pas cette posture. Le grand rassemblement à construire devra enjamber les barrières doctrinales et partisanes et tous les autres types de barrières pour n’avoir qu’un seul dénominateur commun : sortir l’Afrique de son état d’objet pour en faire une Afrique sujet et maître de son destin. Donc l’unité la plus large dans la plus grande diversité enrichissante est à construire.
Il faut, à cet égard, repérer dans les mouvements populaires en cours un peu partout dans la sous-région, les véritables forces de progrès, celles qui se battent pour rompre la chaîne de domination. La victoire nous permettra d’établir, avec les autres, de nouveaux rapports fondés sur la reconnaissance, le respect mutuel et les avantages réciproques.
Un tel projet est pertinent et urgent. Quoique largement ouvert, il devra être porté par une nouvelle Gauche africaine refondée. Il faut en finir avec l’éternelle figure où le peuple se bat pendant que d’autres intérêts se faufilent au pouvoir.

Dakar le 15 septembre 2020
Pour le Secrétariat permanent d’Ànd-Jëf/Parti africain pour la démocratie et le socialisme
Mamadou Diop Decroix
Secrétaire Général

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