« La nébuleuse du secteur de la presse sénégalaise est comme une gangrène. Seul l’ETAT peut… », Bamba Kassé

A l’occasion de la fête du 1er mai, Bamba Kassé a fait part des maux dont souffrent la presse Sénégalaise. Malgré certaines avancées notées, le Secrétaire général du Synpics, face au Président Bassirou Diomaye Faye, a particulièrement plaidé pour la mise en place d’un organe de régulation « adapté, aux pouvoir élargis, au fonctionnement autonome et jouissant d’une indépendance de moyens« .
L’intégralité du discours de Bamba Kassé :
Excellence Monsieur le Président de la République,
Monsieur le Premier ministre,
Monsieur le Ministre du Travail,
Monsieur le ministre de la fonction publique,
Mesdames, Messieurs les membres du Gouvernement,
Madame la présidente du haut conseil pour le dialogue social,
Mesdames Messieurs membres du Patronat,
Camarades Secrétaires Généraux,
Mesdames, Messieurs, en vos rangs et qualités
Excellence Mr le Président de la République,
A l’entame de mon propos, je rends grâce à Dieu, de nous permettre, pour une nouvelle et dernière fois, de nous adresser à la plus haute autorité de l’Etat du Sénégal, à l’occasion de la fête du travail. Recevez Monsieur le Président de la République, nos vœux de succès, suite à votre brillante élection, au premier tour, pour votre toute première tentative d’accession à la magistrature suprême. Que le Bon Dieu, vous inspire et vous aide à supporter la lourde charge, de Chef de l’Etat du Sénégal.
Se faire le porte-voix de mes confrères et consœurs, est un exercice difficile, surtout lorsque c’est la toute dernière fois que je m’y conforme. Dans le contexte qui est le nôtre et qui renseigne d’une période trouble pour les entreprises de presse, et pour les travailleurs des médias, vous comprendrez Mr le Président de la République, la complexité de cette adresse.
Monsieur le Président de la République,
En attendant que vous voudrez bien accorder une audience à la Coordination des associations de presse pour la remise des conclusions des assises des médias, permettez-moi de tenter un discours mixte, articulé autour des réalisations, somme toute, réelles et des attentes très légitimes de la part des travailleurs des médias.
Sur ces 5 dernières années, et suivant les revendications régulièrement portées à l’attention de votre prédécesseur, le Sénégal, notre pays a fait quelques efforts dans l’amélioration de l’écosystème des médias.
Notre pays, a
– Mis en place une commission nationale de la carte de presse
– Défini ce qu’est une entreprise de presse (par décret)
– Mis en place un système de financement de l’audiovisuel public (par décret également)
– Mis en place un système de gouvernance de la maison de la presse
–
– Le Sénégal s’est également doté d’un fonds d’appui et de développement de la Presse
Ce sont là des acquis tangibles, même si, sur certains points, des améliorations sont possibles. Par exemple, la gouvernance de la maison de la presse, exclut jusqu’ici des organisations faitières comme la convention des jeunes reporters, l’Association de la Presse en Ligne et les écoles de formation qui n’y sont pas représentées.
Le Sénégal, Monsieur le Président de la République reste très en retard sur d’autres points qui sont nécessaires pour améliorer l’écosystème et le système de gouvernance des médias.
A ce titre, nous pouvons noter pour le déplorer que notre pays ne dispose toujours pas :
– D’une loi d’accès à l’information, pourtant programmée depuis presque 10 ans
– D’une nouvelle loi sur la publicité plus équitable et qui tiendrait compte de l’évolution technologique du secteur
– Et surtout le Sénégal refuse de se doter d’un mécanisme de contrôle effectif des entreprises de presse, ce qui se traduit comme vous le savez vous-même, pour l’avoir dit en public par la Précarité organisée dont sont victimes des jeunes reporters et techniciens de l’information et de la communication.
Mais également vous conviendrez avec moi que le manque de contrôle des entreprises au-delà de porter atteinte à l’existence sociale des travailleurs, contribue à violer un droit constitutionnel des Sénégalais, celui de disposer d’informations plurielles et utiles à travers les médias, sans oublier que l’Etat est quasi obligé, souvent, de se délester de ses propres ressources fiscales notamment pour perfuser un secteur qu’il se refuse lui-même de normer.
Mr le Président de la République, le plus gros manquement, qu’enregistre notre pays, est le refus de mettre en place un organe de régulation adapté, aux pouvoir élargis, au fonctionnement autonome et jouissant d’une indépendance de moyens.
L’absence de cet organe dans notre écosystème, favorise : l’existence de contenus indignes de notre population. Dans les médias sénégalais, on fait la publicité de produits dangereux (dépigmentation, charlatanisme). Dans nos radios et télévision, des émissions sont consacrées à expliquer des rêves, on fait de la voyance à outrance, on vend des produits prétendument boosteur de libido, on fait la promotion du Ngora Keng et de ses dérivés, des soigneurs traditionnels font le buzz. Un véritable organe de régulation y aurait mis un terme depuis des siècles.
Parce qu’on ne dispose pas de cet organe de régulation aux pouvoirs élargis, on assiste impuissant à une sorte d’esclavage organisé et consolidé (le mot n’est pas de trop) des jeunes journalistes et techniciens qui ne disposent ni de salaires décents, ni de couverture en cas de maladie, ni d’un plan de carrière et surtout qui sont laissés à la merci de la corruption institutionnalisé grâce au phénomène des Perdiems. Que dire alors de l’absence de mesures prononcées par l’organe de régulation en direction des médias publics ?
Les médias, comme tous les secteurs vitaux de notre nation, ont besoin d’un organe de régulation fort, qui puisse veiller aux équilibres sans parti-pris.
Monsieur le Président de la République,
Sur la dernière décennie, les médias publics sont les supports qui ont le plus bénéficié de l’apport de l’Etat. Quoi de plus normal puisque l’Etat du Sénégal est le propriétaire du Soleil, de l’Aps, de la RTS, et de TDS.
Mais, pendant cette décennie également, les médias publics font partie des plus gros violeurs des droits des travailleurs. Les dirigeants de ces médias, comme s’ils s’étaient passés le mot ont eu recours et continuent d’avoir recours à une arme non conventionnelle : La Suspension de Salaire !
Oui ! l’agent vous déplait, son activisme syndical vous pose problème, vous prenez la décision radicale de le plonger de fait dans une sorte d’indigence voulue, gratuite et méchante.
J’en fus malheureusement la première victime malgré ou à cause de mon statut de Sg de Syndicat, et il ne faut alors pas du tout s’étonner que cela continue de plus belle. Les cas patents à la RTS sont là pour en attester.
Lorsque des directeurs de structures publiques disent clairement, je cite ‘’de toutes les façons si je suis condamné par le tribunal du travail, c’est l’entreprise qui paye’’, cela s’apparente à du ‘’Maa Tay’’.
Monsieur le Président de la République,
Ceux qui comme moi cumulent déjà plus de dix ans dans ce métier, et qui se dirigent vers le statut de doyen, regardent cette profession avec beaucoup d’inquiétudes.
L’absence de normes dans ce secteur prédit des lendemains très sombres, pas seulement pour les journalistes et techniciens, mais pour toute la population.
Le Sénégal de la presse privée, c’est celui où on peut dénombrer 59 quotidiens à quelques semaines de l’élection présidentielle, dont certains ne font que des Unes sous format PDF, reprises dans les revues de presse. Aucun emploi créé et un accès sinueux aux conventions commerciales supportés par l’Etat et ses démembrements.
Le Sénégal de la presse privée que l’on n’aime pas c’est celui où un directeur de publication, en l’occurrence d’un site comme senego, administre son entreprise en restant Europe, encaisse de la publicité et des revenus accent, ne compte pas un seul salarié décemment payé et qui, repris par l’inspection du travail de Dakar, refuse de s’exécuter et de se mettre aux normes. Ce n’est là que le dernier exemple d’anomalie que compte notre presse.
La nébuleuse du secteur de la presse sénégalaise, est comme une gangrène. Seul l’ETAT, peut y mettre un frein. Une des preuves est dans l’importation du papier journal, une nébuleuse où le produit, totalement détaxé se retrouve à servir d’emballage de pain dans les boulangeries. Une vraie mafia qui fait perdre des recettes aux Douanes et enrichit quelques individus.
Monsieur le Président de la République, il faut le dire et le souligner : L’Etat du Sénégal est le principal pourvoyeur de recettes des entreprises de presse. A travers la Publicité dite ‘’conventions commerciales’’, l’Etat central, certains de ses services déconcentrés, ses agences et autres organes en charge d’une mission de service publique, mais aussi certains programmes exécutés par l’Etat, permettent à la presse d’exister économiquement. Le même Etat, en ne taxant pas les revenus Google et la publicité digitale, fait encore la part belle aux médias.
Sauf qu’il y a un déséquilibre qui peut être à la longue problématique. Disposer d’un décret de financement de l’audiovisuel public est une très bonne chose…l’étendre aux autres médias publics serait plus juste. Mais surtout, limiter la part de publicité et de commercial dans les budgets des médias publics au profit des médias privés, comme c’est le cas dans certains pays est une Doléance des Plus Légitimes si on veut garder la cartographie de la diversité médiatique au Sénégal.
Il ne s’agit ni plus ni moins que d’organiser le secteur et de le réguler, au point que toute entreprise de presse puisse être viable. Le cahier de doléances qui vous sera remis, est un condensé des difficultés que vivent les employés de la presse sénégalaise, du public comme du privé et une invite à leur résolution. C’est possible et c’est faisable.
Pour conclure Mr Le Président de la République, permettez que je rende hommage à mes doyens secrétaires généraux de centrales syndicales. Ils ont été là, sont encore là et seront encore là s’il plait à Dieu jusqu’à ce qu’arrive l’heure pour eux de prétendre à un repos mérité.
L’expérience accumulée par eux, leur dévotion à la cause des travailleurs, doivent être capitalisées et servir aux prochaines générations. Vous-mêmes avez été syndicaliste. Vous savez qu’il n’y a pas plus grand sacrifice que de se mettre au service de ses collègues.
Qu’ils soient remerciés pour toute l’affection qu’ils m’ont témoigné au cours de ces cinq années malgré que le SYNPICS ne soit affilié à aucune de leur centrale.
Que Dieu vous garde Camarades Secrétaires Généraux !
Vive le Sénégal ! Vive la Presse ! Vive les Travailleurs !
Excellente contribution, quelle qualité et quelle hauteur !!!
Bamba Kassé de l’APR