La démocratie sénégalaise est-elle malade de ses « arbitres-tableurs » (Par Bara Ndiaye)*

Exprimer son engagement pour une cause est avant tout une question de liberté et un journaliste peut librement avoir des convictions politiques. Mieux, il n’existe au Sénégal aucun texte législatif ou réglementaire en dehors de quelques chartes propres à certaines rédactions interdisant aux journalistes les prises de position politique. Toutefois, pour des raisons d’honnêteté et d’objectivité et par respect à certains principes immuables du métier, un journaliste qui s’engage en politique devrait s’interdire d’exercer dans une rédaction. Faire du journalisme militant, ce n’est pas seulement rapporter de façon obsessive des faits qui font avancer sa cause. C’est surtout cacher les faits qui pourraient contredire ses propres thèses. C’est faire le choix délibéré de ne pas montrer les deux côtés de la médaille de peur que les gens en tirent une autre conclusion. C’est exactement le contraire du journalisme. A partir de ce moment, les signataires de la tribune n’ont-ils pas changé de métier ?

Cette tribune partisane, à la teneur moralisatrice, ressemble à du pain béni pour un camp. Elle donne également des munitions aux sceptiques de l’autre camp qui se méfient de ses porteurs qui ne passent plus pour des « médiateurs » équidistants des acteurs politiques en conflit, mais pour une tribu de militants devenus ses concurrents. Or, dans une conception largement répandue, les médias et les journalistes jouent le rôle d’arbitres dans les sociétés démocratiques. Ils sont les agents par qui transitent des messages. Ils en ajoutent une couche de sens par diverses méthodes dont la sélection des informations, leur hiérarchisation et leur diffusion. Lorsqu’ils décident d’outrepasser ce rôle d’arbitres du jeu politique pour devenir des acteurs, il y a risque qu’ils transforment des événements créés de manière artificielle en réalités.

En proclamant publiquement et ouvertement leur opposition au troisième mandat du Président Macky SALL, mes confrères signataires de la tribune sont devenus des arbitres-tacleurs, une expression empruntée à la presse française. Elle qualifie l’attitude d’un célèbre arbitre de football du nom de Tony Chapron, désigné le 14 janvier 2018 pour diriger un match Nantes-PSG. En pleine rencontre, il tombe devant le nantais Diego Carlos qui revenait défendre. Tony Chapron croit que le joueur l’a déstabilisé et lui assène un coup de pied au tibia avant de se relever et de lui donner un deuxième carton jaune entraînant son expulsion. À la suite de ce geste qui a fait le tour du monde, il est mis en retrait par la Fédération Française de Football.

Cet épisode illustrant un polémique dépassement de rôle, pousserait, dans d’autres pays, les organes de régulation du secteur des médias à rappeler les auteurs à l’ordre, surtout quand on sait que la force de certaines convictions peut faire obstacle à la recherche de la neutralité ou de l’objectivité. Un journaliste est-il capable, en d’autres termes, de faire abstraction de ses préférences partisanes, de sa propre vision du monde historique ou politique, afin de ne pas déroger à son devoir d’impartialité ? Ce n’est pas évident d’atteindre si facilement la rigueur, l’équilibre et la neutralité, quand on prend ouvertement position.

Le scandale du Watergate restera à la fois un cas d’école pour les journalistes et un exemple d’influence des médias : un président des États-Unis contraint à la démission par le travail d’enquête de deux journalistes mettant la lumière sur des contre-vérités présidentielles. La crédibilité et la neutralité ont joué en faveur des journalistes Bob Woodward et Carl Bernstein.

Le contexte actuel de la pratique journalistique exige de la part des professionnels, une grande capacité de discernement, d’autocritique et de remise en cause. Ce sont les journalistes qui ont appris les règles de collecte, de traitement et de diffusion de l’information. Malheureusement, les comportements partiaux, les accointances et autres manquements aux principes éthiques et déontologiques ont fini de favoriser l’irruption, dans le champ, d’autres types d’acteurs de l’information qui font fi des approches admises en la matière. Tout se passe comme si aujourd’hui, dans la propagation de l’information, la presse et les médias en général se trouvaient dépassés par la capacité de tout un chacun de produire de l’information. Dans un tel environnement, le doute sur la crédibilité du journaliste bien formé encourage la désinformation.

De l’orientation de cette tribune, un constat s’impose : le timing choisi, le profil des signataires et le choix de camp ostentatoirement affiché, renseignent sur le funeste projet de jeter, en vain, le discrédit sur un Président démocratiquement élu et bénéficiant d’une popularité intacte dans le Sénégal réel. Malgré tout, je refuse de croire que cette tribune est un gage donné à Ousmane Sonko, bienfaiteur généreux de son réseau de journalistes grassement entretenus pour être ses relais dans certaines rédactions.

Dès lors, le tribunal des pairs et les autres instances habilitées à statuer sur les dérives des journalistes devraient prendre toute leur responsabilité face à cette imposture. Avec ce parti pris flagrant et cette entrée fracassante dans l’arène politique, ces journalistes en pancartes devraient déchirer leurs cartes de presse. Oseront-ils franchir le rubicond en s’encartant ? Tous les paris semblent ouverts !

Je souhaite relever le silence coupable et complice des signataires de cette tribune sur les événements tragiques et inédits survenus au CESTI. Fermer les yeux sur ces actes criminels dirigés contre ce temple sacré du journalisme africain est d’une insouciance démesurée, puérile et mesquine.

Visiblement, la troisième candidature du Président Macky Sall est plus importante que la pérennité du métier de journaliste.

Je condamne fermement cette attaque odieuse et appelle à la mobilisation de tous les démocrates du Sénégal et de l’Afrique pour soutenir l’élan de reconstruction du CESTI.

Ma conviction sur la troisième candidature du Président Macky SALL jugée impossible par les signataires de la tribune est que le débat vif qu’elle suscite est un phénomène naturel en démocratie. Les controverses, les diatribes, les menaces et les guérillas ne sauraient constituer des moyens efficaces pour la rendre impossible ou illégale. Il n’existe, en dehors de sa propre décision, que deux instances compétentes pour décider de son sort : le Conseil constitutionnel qui est l’unique organe habilité à se prononcer sur sa légalité et le peuple sénégalais qui est l’ultime juge à décider de sa légitimité. Ce dernier décideur, dans une démocratie, est prééminent sur tous les pouvoirs y compris le quatrième.

* Journaliste en retrait
Directeur général de la Maison de la presse Babacar Touré
Militant de l’Alliance Pour la République

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