Foot – Mady Touré : « Ibrahima Niane fera comme Ismaila Sarr si… »

Liverpool vient de décerner son prix du meilleur joueur de l’année à Sadio Mané, arrivé des Saints l’été dernier. De l’autre côté de la Manche, le jeune Ismaïla Sarr a largement participé au maintien en Ligue 1 du FC Metz et se permet de marquer les esprits sur cette fin d’exercice. Outre le fait d’être tous les deux internationaux sénégalais et de connaître le FC Metz, Sadio Mané et Ismaïla Sarr ont avant tout été formés au même endroit : l’Académie Génération Foot.

Bonjour. Pourriez-vous nous présenter votre parcours ?

Je suis Mady Touré, président fondateur de l’Académie Génération Foot, crée en 2000. Je suis arrivé en France quand j’avais entre 15 et 16 ans. Je suis d’abord venu jouer au football et j’ai suivi une formation à Thonon-les-Bains. J’ai joué pendant une dizaine d’années mais une grave blessure m’a éloigné des terrains.

J’ai ensuite été brancardier à l’Hôpital Princesse Grâce à Monaco pendant une dizaine d’années. J’ai choisi de me tourner en 2000 vers la création de l’Académie Génération Foot.

Comment a germé l’idée de créer une académie de football ?

L’idée est venue simplement. J’ai été souvent sollicité par des joueurs africains délaissés, dans la nature, qui étaient à la recherche d’un club ou simplement d’un endroit où dormir. Quand la FIFA a choisi de protéger les joueurs mineurs (ndlr article 19), je me suis dit que c’était l’occasion de poursuivre mon rêve dans le football en créant une académie et c’est ce que j’ai fait en 2000. De 2000 à 2003, l’académie avait un partenariat avec l’AS Nancy Lorraine. Le partenariat avec le FC Metz a ensuite débuté en 2006.

Pourquoi avoir choisi le FC Metz ?

Avant le lancement de l’Académie, je travaillais avec beaucoup de clubs européens (en France et en Italie notamment) pour aider de jeunes talents à venir en Europe. Je connaissais alors beaucoup de jeunes joueurs de 14 ou 15 ans qui intéressaient les clubs. Lorsque le partenariat avec Nancy s’est terminé, le FC Metz s’est positionné. Avant même le partenariat, plusieurs jeunes avaient rejoint Metz et le club connaissait la qualité des joueurs que nous proposions. Le premier joueur de l’Académie Génération Foot à avoir rejoint le FC Metz était Sega NDiaye qui a remporté la Coupe Gambardella (buteur en finale) et le championnat U18 en 2001. Francis De Taddeo (ndlr directeur de la formation messine à l’époque et actuellement directeur du centre de formation du SM Caen) m’a très bien accueilli et la collaboration est partie sur de bons rails. Jules François Bertrand Bocandé, joueur emblématique du football sénégalais était aussi à Metz. Quand on regarde l’histoire c’est aussi un club qui accueillait beaucoup de joueurs africains et cela a joué dans ma décision. J’ai ensuite tissé de très bons liens avec le club grâce à Joël Muller, Patrick Razurel (ndlr directeur général du FC Metz à l’époque) et Carlo Molinari (ndlr président du FC Metz jusqu’en 2009). C’est comme une famille. Je connaissais aussi la politique et les attentes du club. Aujourd’hui je sais que je ne me suis pas trompé et je suis très fier de travailler avec ce club.

Comment s’est passé le lancement de l’Académie ? Avez-vous pu être aidé dans votre projet ?

J’ai commencé avec une table et deux ballons. Je suis parti de rien et je me suis lancé dans un projet un peu fou. Peu de personnes croyaient en ce projet lors du lancement. J’avais ma feuille de route et mes objectifs à atteindre. Je voulais me jauger, savoir de quoi j’étais capable mais je voulais aussi apporter ma pierre à l’édifice et aider le Sénégal. Le fait de ne pas réussir en tant que joueur a été une source de motivation pour réussir en tant que dirigeant. Jusqu’à aujourd’hui, je n’ai bénéficié d’aucune aide. L’académie fonctionne avec le soutien du FC Metz et les indemnités de formation. Aujourd’hui deux joueurs pris par le FC Metz, permettent à tous les jeunes sur place d’être nourris, logés, scolarisés et formés.

Quel était votre objectif en lançant cette académie ?

Au départ l’objectif était de former des hommes. Je voulais instruire les joueurs pour qu’ils soient en mesure de faire face au football européen. Certains joueurs africains arrivaient en Europe sans l’instruction nécessaire pour lire un contrat par exemple. Je voulais donc leur donner les clés pour réussir. Avant la création de l’Académie, lorsque j’amenais des jeunes joueurs africains en Europe, on me disait toujours qu’il leur manquait quelque chose. J’ai donc créé l’Académie pour effacer les lacunes des joueurs et pour les mettre dans les meilleures conditions pour réussir en Europe. Olivier Perrin (ndlr ancien formateur à Metz) est justement arrivé à Génération Foot pour apporter son savoir-faire et permettre aux joueurs de passer ce palier. Aujourd’hui, l’objectif est d’être parmi les meilleurs centres au monde et nous pouvons y arriver. Je souhaite changer les regards sur le football africain et je souhaite que le football mondial compte sur l’Afrique. Le but est de sortir le plus de joueurs africains et je souhaiterais que dans 10, 15 ou 20 ans, le Sénégal ou un autre pays africain remporte la Coupe du Monde. L’objectif que j’ai pour moi, je l’ai pour mon pays, pour mon continent.

Concernant le fonctionnement à proprement parler, à partir de quel âge les jeunes entrent à l’Académie ?

Nous avons une académie et une école de foot. Les jeunes rentrent à 5 ans à l’école de foot et les plus talentueux peuvent entrer à l’Académie à 12 ans pour une formation de 6 ans. En parallèle, les jeunes suivent un cursus scolaire. Nous détectons aussi des joueurs au Sénégal mais aussi dans toute l’Afrique où nous avons des antennes. Actuellement nous avons 120 jeunes de 12 à 25 ans qui sont logés et pris en charge gratuitement.

A quoi ressemble la journée-type d’un académicien ?

Ils sont en classe le matin avec un programme bien défini. Le modèle est exactement le même qu’en Europe. L’Académie ressemble vraiment à un centre de formation européen sauf que c’est en Afrique.

Sadio Mané et Ismaïla Sarr, notamment, ont un profil assez similaire. Est-ce que l’académie forme en priorité un certain type de joueur ?

On ne forme pas un profil spécifique. Nous voulons former des hommes. Nous répondons aux demandes du FC Metz. S’ils souhaitent un défenseur, nous allons voir. C’est Olivier Perrin en fin de saison qui fait son choix pour voir qui va pouvoir rejoindre le FC Metz. C’est vraiment à la demande de notre partenaire. Aujourd’hui à titre personnel, je souhaite que l’Académie soit l’une des plus performantes au monde. Nous avons donc des exigences très importantes. A l’heure actuelle, nous sortons chaque année deux bons jeunes, ce qui n’est pas forcément le cas de tous les centres de formation européens. Nous disposons d’un panel extraordinaire de joueurs en Afrique et nous savons déjà que nous pourrons proposer des joueurs performants au FC Metz pour les dix ans à venir.

En dehors de l’aspect purement sportif, est-ce que vous diriez que l’Académie a aussi un rôle social au Sénégal ?

Génération Foot est une académie à but non lucratif. Avec l’indemnité de transfert des joueurs, nous avons engagé des travaux dans le village (ndlr depuis 2013, Génération Foot est implanté à une quarantaine de kilomètres de Dakar à Déni Birame Ndao). Nous avons électrifié le village, nous avons amené l’eau, nous avons rénové le poste de santé pour que les villageois puissent se faire soigner convenablement. Nous avons aussi participé à la réfection des mosquées et équipé la morgue. Nous participons au développement du village avec aussi l’ouverture d’une école en octobre (ndlr 80% du personnel de l’Académie sont des habitants du village). Dans les établissements scolaires, nous apportons aussi notre modeste contribution. Génération Foot tente d’apporter sa pierre à l’édifice de son pays.

Que deviennent les joueurs qui ne percent pas dans le monde professionnel ?

Certains académiciens n’ont, en effet, pas la chance de réussir. Ce n’est pas le cas de tout le monde mais nous organisons par exemple des formations pour que certains puissent revenir travailler au sein de l’Académie en tant que formateur. Nous étudions la possibilité d’une école technique pour une formation.

Comment expliquez-vous que les joueurs qui sortent de Génération Foot soient prêts de plus en plus tôt ?

Le problème des jeunes africains qui arrivaient en Europe c’est qu’ils n’avaient pas tous les éléments pour appréhender au mieux le football européen. Ils ne savaient pas comment fonctionnait le haut niveau en Europe. Aujourd’hui, les joueurs que nous formons ont tout sur place, comme en Europe. Ils savent qu’ils doivent aller à l’infirmerie par exemple. Nous leur donnons les bonnes habitudes pour réussir en Europe. Je vais vous donner un exemple tout simple. Beaucoup de joueurs africains étaient surpris par les terrains en arrivant en Europe. Ils ne savaient pas forcément appréhender les pelouses au niveau des appuis, des prises de balle. Ce sont des détails importants. A Génération Foot, nous avons des terrains de très bonne qualité. Ils sont arrosés donc les joueurs peuvent par exemple s’habituer à des ballons qui fusent et aux contacts. Tous ces éléments permettent aux jeunes d’évoluer dans des conditions similaires à l’Europe ce qui explique que l’adaptation soit très rapide. Actuellement, Olivier Perrin, manager général, fait un excellent travail avec Abdoulaye Sarr (ndlr adjoint en 2002 lors du quart de finale de Coupe du Monde du Sénégal), le directeur technique et Abdou Salam Lam. Nous avons un très bon staff. L’adjoint d’Olivier est un ancien joueur de l’Académie qui n’a pas pu aller en Europe et qui a suivi une formation d’entraîneur. Aujourd’hui, un joueur comme Ismaïla Sarr a quitté Génération Foot alors en deuxième division sénégalaise et s’est fait une place à Metz en Ligue 1. Cela permet de voir la qualité de la formation proposée ici. Nous organisons aussi des tournées en Europe quand nous en avons la possibilité. Cela nous permet de jauger nos jeunes. Nous avons des moyens très limités par rapport aux clubs européens mais nous arrivons à être très performants au niveau de la formation.

Vous n’êtes donc pas surpris des performances d’Ismaila Sarr j’imagine ?

Pas du tout. Nous connaissions les qualités d’Ismaila Sarr et Olivier Perrin et moi-même ne sommes pas du tout surpris par son adaptation. En l’envoyant à Metz, nous savions qu’il était tout à fait prêt. Ibrahima Niane arrivera cet été à Metz et s’il n’a pas de pépin physique nous savons qu’il suivra la même trajectoire qu’Ismaïla. Aujourd’hui, les joueurs qui sortent de Génération Foot sont parfaitement formés physiquement, tactiquement et mentalement. Ismaïla Sarr a apporté sa touche au FC Metz. Il est toujours en progression et doit continuer sa formation. On ne va pas se cacher, on est tous contents. Il a d’énormes qualités et je pense qu’il peut même montrer encore plus, être plus attentif, plus décisif.

Depuis 10-15 ans, beaucoup d’académies ont vu le jour en Afrique et notamment à Dakar. Quel rapport entretenez-vous avec la concurrence ?

Aujourd’hui, il y a 3 académies structurés : Diambars, Dakar Sacré Coeur et Génération Foot. Autour, il y a des écoles de foot avec lesquelles nous travaillons. Beaucoup de centres vont ouvrir mais j’adore la concurrence. Je souhaite que les centres poussent de tout côté. Aujourd’hui, nous avons une avance mais la concurrence va nous permettre de nous remettre sans cesse en question et de continuer à travailler pour garder et même augmenter notre niveau de performance. Il faut sans cesse, tous les ans ou tous les deux ans sortir un ou deux phénomènes pour le FC Metz. Tant que nous continuerons sur cette voie, nous pourrons devenir incontournables dans le monde.

Quelle est la place des anciens joueurs de Génération Foot dans l’Académie ?

Tous les joueurs qui ont leur nom sur les trèfles (ndlr bâtiments de logement) ont aidé l’Académie. Chaque année, lors des vacances et s’ils ont le temps disponible, les anciens académiciens reviennent. Ce sont tous mes enfants.
Pour les académiciens, le fait de voir les joueurs qui ont réussi est très motivant. Ils veulent suivre le même chemin que Sadio Mané ou Ismaïla Sarr. Le nom de l’académie vient justement de tout cela. Les générations se suivent dans l’académie et il y a une sorte d’héritage. Quand les anciens académiciens viennent, ils sont là pour servir d’exemple et aussi pour dire que ce n’est pas facile et qu’il faut s’accrocher. Aujourd’hui, nous avons dépassé la barre de la centaine de joueurs qui sont arrivés en Europe. Je suis fier de tous les joueurs passés par Génération Foot et je suis heureux de les voir réussir par le foot.

En dehors de la formation à proprement parler, vous avez aussi une équipe qui évolue en première division sénégalaise. Vous pouvez nous en dire quelques mots ?

Nous avons, en effet, le centre de formation et une équipe professionnelle. Nous sommes actuellement premiers du championnat alors que nous venons de monter. En 2015, nous avons gagné la coupe du Sénégal alors qu’on évoluait en 3e division sénégalaise. L’objectif cette année, juste après la montée, était de jouer le maintien. Si dans 2 ou 3 journées, nous sommes champions, cela voudra dire le travail fait depuis 17 ans a porté ses fruits. Depuis l’inauguration du centre à Déni Birame Ndao en 2013 (ndlr sur 20 hectares se trouvent notamment un bloc sportif, un bloc hébergement, une infirmerie, un stade de complétion conforme aux normes de la FIFA et deux terrains d’entraînement gazonnés), le club a connu une grosse progression. Quand on a de bons joueurs, forcément on a de bons résultats donc ce n’est pas vraiment une surprise. Notre outil de travail nous permet d’avoir une équipe compétitive et d’orienter des joueurs vers le FC Metz. Nous avons déjà joué une coupe continentale après la victoire en coupe en 2015 et si nous remportons le championnat nous pourrons à nouveau représenter le Sénégal sur le continent africain. Nous n’allons pas tout anticiper mais c’est une possibilité.

Par définition, vos meilleurs joueurs sont amenés à partir à court ou moyen terme. Comment ce paramètre est pris en compte dans l’équipe professionnelle ?

C’est un paramètre très important mais nous devons honorer notre convention. L’objectif principal est d’envoyer nos meilleurs joueurs vers le FC Metz. Après je fais absolument confiance au staff. Je sais qu’ils peuvent me surprendre et ils continuent de le faire. C’est le staff qui a décidé d’envoyer deux joueurs cette année mais je sais que d’autres vont se révéler l’année prochaine. Cet été, Ibrahima Niane (ndlr 1999, qui joue actuellement la coupe du monde U20 avec le Sénégal en Corée du Sud) et Ablie Jallow, international gambien, rejoindront le FC Metz. Si Ismaïla Sarr, Ibrahima Niane et Ablie Jallow sont associés à Metz, je vous jure que l’équipe sera très joueuse et qu’il y aura du spectacle.

Vous pensez qu’Ibrahima Niane et Ablie Jallow pourront intégrer l’équipe première du FC Metz dès la saison prochaine, comme l’a fait Ismaïla Sarr cette année ?

Je n’ai absolument aucun doute là-dessus. Après, tout va très vite dans le football. Je pense que s’ils ne sont pas blessés et s’ils réussissent à avoir la confiance de l’entraîneur, ils suivront le même chemin qu’Ismaïla.

Pour finir, pourriez-vous nous dire quel regard vous portez sur les performances de l’équipe nationale sénégalaise ?

Les performances des équipes de jeunes sont très bonnes et il y a vraiment une marge de progression énorme. Le seul hic, c’est l’équipe A qui a échoué en quart de finale de la dernière Coupe d’Afrique des Nations. Il faut aussi nuancer cela car si l’on regarde les dix dernières années, être en quart de finale c’est déjà une belle performance. Le coach (ndlr Aliou Cissé le capitaine des Lions en 2002) était forcement très déçu car il souhaitait au moins accéder aux demi-finales. Aujourd’hui avec les centres qui se multiplient, le travail va finir par payer mais il faut être patient. Je reste persuadé qu’avec la dynamique actuelle, le Sénégal pourrait gagner une coupe du monde dans les années à venir. Il faut continuer à travailler et il faut aussi que la fédération continue d’évoluer, que les coachs continuent de se former. Il faut que tout le monde se mette au diapason et je suis sûr que nous serons capables d’apporter la coupe continentale que le pays attend (ndlr le Sénégal a été finaliste de la CAN en 2002 et s’était incliné aux tirs au but contre le Cameroun). Nous avons toujours eu un effectif de qualité mais il a toujours manqué un petit quelque chose. Il faudra trouver le juste équilibre. Le déclic viendra d’une victoire lors de CAN. Ensuite, le football sénégalais sera sans doute lancé pour plusieurs années.

Source: Espoirsdufoot

 

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