« Fin FCfa ou reconquête de notre véritable souveraineté monétaire et défis »

La date du 21 décembre 2019 sera historique pour les pays de la zone Cfa, qui vient de connaitre le second important changement dans son arrangement institutionnel, en 75 ans d’existence, après la non-moins historique dévaluation de 1994.

L’éco vient ainsi de remplacer le FCfa comme monnaie régionale, consacrant, en même temps, la fin du tant décrié compte d’opérations et de la présence française dans les organes de la Bceao. Cette décision de la France et de ses anciennes colonies a été globalement saluée par les partisans du Cfa-exit comme un important pas vers la rupture du lien « colonial » liant la France à ses pays, et la reconquête de notre souveraineté monétaire usurpée.

Presque tous en appellent à une mobilisation plus déterminée des forces vives des nations concernées, pour démanteler ce qui reste du système colonial, et parachever l’entreprise de « décolonisation monétaire ». Cependant, la question de savoir comment démanteler le système est désormais celle qui divise.

Certains pensent que les pays de la zone Cfa doivent garder intacte l’unité de la zone, mais opter pour une rupture d’avec le système de parité fixe et laisser flotter la monnaie. D’autres plus radicaux optent pour un éclatement de la zone et l’érection de monnaies nationales souveraines, couplée avec des règles moins rigides de coopération monétaire.

A ce moment précis où l’élite politique et intellectuelle africaine est en train de jauger différentes approches alternatives au Cfa/Eco, il nous semble pertinent de partager cet appel à la prudence sur un sujet aussi sensible que la gestion monétaire, qui est d’abord technique avant d’être politique.

Quel Benchmark pour le système à mettre en place ?

Pendant que les différents protagonistes du débat public au niveau régional, réfléchissent sur la configuration que devrait prendre le nouveau système monétaire, il est primordial de disposer d’une référence contre laquelle évaluer l’efficacité du nouveau système, comparativement à l’ancien, pour éviter que la révolution ne rime avec immobilisme ou, pire, avec régression.

Les critères définissant les performances d’un système monétaire sont bien connus. Grosso modo, il s’agit du niveau de financement de l’économie, du coût du crédit et de la compétitivité. Une analyse comparative des deux zones monétaires de l’Afrique de l’Ouest (Uemoa) et la Wamz (West african monetary zone) qui inclut le Nigéria, le Ghana, la Gambie, le Sierra Léone, le Libéria, et la Guinée -Conakry, permet d’avoir une meilleure idée du niveau de performance de l’ancien système Cfa. Les pays de la Wamz étaient supposés former une zone monétaire commune, qui devrait, à terme, intégrer l’Uemoa pour constituer une seule zone monétaire pour les membres de la Cedeao.

Ils constituent un bon groupe de comparaison pour les pays de l’Uemoa, car partageant avec eux beaucoup de similitudes géographiques, culturelles et historiques, à part le passé colonial et les institutions qui en découlent. Cet exercice de comparaison révèle que dans les années récentes, si le niveau de financement de l’économie a été meilleure en zone Cfa qu’en zone Wamz, sur la question de la compétitivité, une frappante similitude entre les deux zones est observée.

Par exemple, le volume de crédits, octroyés par le système financier, rapporté au Pib, a atteint presque 44 % en 2017 au Sénégal, contre seulement 23 % pour le Nigéria. Pour le crédit au secteur privé, le ratio est de 35,6 % et 35 %, respectivement pour le Sénégal et le Togo, et seulement de 16 % au Ghana en 2017. Lorsqu’on qu’on regarde les prêts accordés aux Pme et le niveau des garanties qu’on leur demande, des observations similaires peuvent être faites.
Sur la question de la compétitivité, le taux de change réel, qui est l’instrument le plus usuel pour mesurer le niveau de compétitivité, ne révèle pas des tendances très différentes entre les deux zones.

Le taux de change réel est la combinaison du taux de change nominal et des prix. Si la Wamz a eu plus de flexibilité dans la gestion du taux de change nominal, elle a connu des variations de prix beaucoup plus erratiques, se traduisant par des taux d’inflation en zone Cfa deux à trois fois plus faibles qu’en zone Wamz.

Mais, en zone Uemoa, comme en zone Wamz, les exportations sont très peu diversifiées et reposent essentiellement sur des produits de base (agriculture, mines) à faible valeur ajoutée. A notre avis, l’ancien système Cfa pourra offrir un bon référentiel pour évaluer le niveau de progrès atteint par le nouveau.

La notion de «souveraineté monétaire» : un non-sens économique

L’argumentaire qui a sous-tendu le Cfa-exit a très peu été basé sur des considérations techniques, mais davantage sur des considérations politiques, et en particulier, sur la nécessité de reconquérir notre souveraineté monétaire. Pour des pays qui ont longtemps trainé le traumatisme lié à un passé colonial assez difficile, les notions d’indépendance, de souveraineté et d’auto-détermination reçoivent une adhésion populaire à nulle autre pareille.

Force est de constater que dans le domaine de la politique monétaire, contrairement à la politique, la notion de souveraineté renvoie à une toute autre réalité. Si en politique la souveraineté recouvre la notion de monopole des instruments et leviers liés à la gouvernance de l’Etat, il serait utopique de penser qu’un tel monopole puisse être exercé dans le domaine de la politique monétaire, où la seule vraie force demeure le marché.

Dans le monde actuel, très peu de pays en développement sont en position d’exercer une quelconque souveraineté sur leur monnaie. La raison n’est que très facile à comprendre : dès que les populations perdent confiance dans la monnaie nationale, elles ont tendance à l’échanger contre d’autres monnaies plus stables (souvent le dollar ou l’euro), réduisant substantiellement la marge de manœuvre des autorités monétaires nationales, la banque centrale, perdant de facto, le contrôle des instruments les plus usuels de la politique monétaire.

L’exemple du Zimbabwe est, à cet égard, édifiant. Ce pays n’a pas hésité, en 2009, à adopter le dollar américain et à interdire l’utilisation de sa propre monnaie, pour sortir de la crise des paiements à laquelle son économie a été confrontée.

Le cas zimbabwéen n’est guère un cas isolé, les pays en développement utilisant totalement ou partiellement une monnaie étrangère sont légion et on les retrouve dans pratiquement toutes les zones géographiques. Par exemple, au Libéria voisin, il est impossible de payer ses impôts en monnaie locale.
Dès que la monnaie perd la confiance de ses usagers, une monnaie étrangère lui est souvent substituée, consacrant de facto la perte de contrôle sur la politique monétaire.

Dépasser le complexe colonial

Un des aspects positifs de l’avènement de l’éco est qu’il permet d’éjecter la France du système. Tant qu’on n’aura pas les détails du nouvel accord liant la France aux pays de la région, il sera toujours difficile de déterminer jusqu’à quel point elle est tenue à l’écart du nouveau dispositif institutionnel de gestion de la monnaie.

Mais, une chose est sûre, la forte crispation de l’élite africaine sur tout ce qui touche à nos relations avec l’ancienne puissance coloniale n’est pas de nature à générer le recul nécessaire pour engager une réforme efficace. Depuis l’annonce de l’avènement de l’éco, on observe une cacophonie généralisée, où chacun rivalise de zèle pour défendre l’indépendance de la patrie vis-à-vis de la France.

Il est vrai que la France a fait très peu de choses pour s’attirer la sympathie de l’élite africaine qu’elle a pourtant souvent contribué à former. La « peur » de la France se fonde moins sur une base rationnelle que sur l’émotion, car de nos jours, l’influence de la France sur l’économie de ses anciennes colonies s’est considérablement atrophiée. Par exemple, en 2018, la France n’a même pas fait partie des 10 premiers partenaires commerciaux du Sénégal, et s’est située très loin derrière des pays comme le Mali, les Usa et même l’Australie. Au niveau des investissements, les mêmes tendances sont observées récemment. En tout état de cause, une réforme du système monétaire ne devrait être conçue qu’au regard des intérêts africains et de nos impératifs de développement, et pas seulement contre la France.

Le dispositif institutionnel est primordial pour toute réforme du système monétaire. Notons que le premier déterminant du rejet d’une monnaie nationale au profit de l’adoption d’une monnaie étrangère, c’est le manque de confiance dans la monnaie nationale. Et la règle d’or d’une gestion monétaire efficace est l’existence d’une muraille de Chine entre les autorités politiques (le Gouvernement) et les autorités monétaires (la Banque centrale).

On peut certainement reprocher à la Bceao beaucoup de choses, mais elle a toujours été autonome des Etats. Et la nouvelle Banque centrale (à mettre en place) devrait viser la même autonomie. L’autorité politique, sous tous les cieux, encore plus en Afrique, a toujours un besoin insatiable d’argent. Dans ce contexte, obliger la Banque centrale à imprimer la quantité de billets qu’on veut pour faire face à ces besoins constitue l’erreur la plus répandue dans la gestion d’une monnaie.

Par Professeur Ahmadou Aly MBAYE

Université Cheikh Anta Diop

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