Décryptage : Pourquoi la campagne « Auchan dégage » est un faux débat ?

Depuis plus de cinq (5) mois, la capitale sénégalaise vibre au rythme d’une ambiance anti-française et c’est bien « Auchan dégage ». Auchan est un groupe de grande distribution appartenant à l’Association familiale Mulliez. Il est fondé en 1961 par Gérard Mulliez et dirigé par celui-ci jusqu’en 2006, par Vianney Mulliez de 2006 à 2017, puis par Régis Degelke. En 2015, le groupe se réorganise et prend le nom d’Auchan Holding, composé de trois entreprises autonomes qui sont Auchan Retail, Immochan et Oney Bank.

Au Sénégal, c’est en 2014 que les premières boutiques d’Auchan s’ouvrirent, d’abord sous l’enseigne Atac. Pour s’implanter et étendre ses ailes, le Groupe dirigé au Sénégal par Laurent Leclerc, directeur général, a racheté les magasins Citydia, un de ses principaux concurrents. En quatre (4) ans Auchan Sénégal a investi 65 milliards de FCfa. Cet investissement peut s’expliquer par le climat de paix et de stabilité qui règne au Sénégal. Auchan Sénégal, selon les mots d’un de ses représentants, Robin Gautier, souhaite inscrire dans ce « made in Sénégal » des produits locaux et également s’inscrire dans la durée en tant qu’employeur. Auchan est aussi l’un des grands distributeurs des produits locaux de Sedima.

Ils ont 235 fournisseurs sénégalais, plus de 1500 sénégalais y travaillent dont 98 % de Sénégalais, tous en Contrat à durée indéterminée (CDI). Ces 1500 collaborateurs comme aime bien l’appelé Robin Gautier bénéficient des formations régulières. Et ils vendent des produits d’une manière très accessible. Les échelons de la direction sont composés à 75 % de collaborateurs sénégalais.

Comment se porte le marché sénégalais ?

Selon les résultats du Recensement Général des Entreprises (RGE) et du Projet de changement de l’année de base des comptes nationaux (CAB), 407.882 unités économiques sur le tout le Sénégal en 2017. Près de 52% des unités économiques exercent dans le commerce, plus de 96% sont des entreprises individuelles et 97% des unités économiques recensées sont informelles. Le chiffre d’affaires de l’ensemble des entreprises recensées s’élève à 11.349 milliards fcfa dont 40,3% vient du secteur du commerce et 69,6% est généré par les grandes entreprises. Le secteur informel représente donc 41,6% du PIB et emploie environ 48,8% de la population active.

Dans le même registre, la Direction de la prévision et des études économiques(Dpee) a réalisé une étude en 2011 en collaboration avec l’ANSD. A en croire le document, le salaire annuel moyen perçu par un employé du secteur s’élève à 505 805 FCFA, soit un salaire mensuel de 42 150 FCFA. Par ailleurs, note le document d’étude de la Dpee, le secteur informel sénégalais ne contribue qu’à hauteur de 3% des recettes fiscales intérieures en dépit de la mise en place de la Contribution Globale Unique (CGU) et du régime du bénéfice réel afin de simplifier le traitement fiscal des activités informelles. Eu égard à tous ses chiffres qui arrangeraient moins le pouvoir public, l’organisation du secteur tant prônée par Auchan ne serait-elle pas la bienvenue ? Avec la venue du géant français, les syndicats parlent de plus de quinze mille (15 000) petits commerces menacés.

Les débuts de cette campagne

Cette chanson hostile à la France a connu ses débuts avec des activistes spécialement le Collectif non aux APE (Accords de partenariat économique) dirigé par Guy Marius Sagna. Et depuis lors des campagnes se multiplient jusqu’au moment où nos mamans des marchés portent désormais le t-shirt rouge de Auchan avec l’écriture « Auchan dégage ».
Les commerçants de Castor, du marché de Yoff ou encore de Thiès ont poussé le bouchon loin en créant un mouvement dénommé « Auchan dégage ». Des commerçants de marché Thiaroye et marché Ndiarème ne sont pas restés en marge de ces « cris de cœur ».

L’Union des commerçants et industriels du Sénégal (UNACOIS/Jappo) a embauché la même trompette et serait d’ailleurs le bras armé de ses commerçants en guerre contre le géant français.
Le président de l’Unacois Jappo, Idy Thiam semble fléchir ce 17 juillet en écoutant le ministre Alioune Sarr proposer un projet de loi. Celui-ci stipule qu’ « une autorisation préalable sera imposée pour la mise en place de toute grande surface atteignant les 300 m2 ». L’Unacois Jappo reste sur sa faim en appelant les consommateurs au boycott des produits du géant français.
Même le syndicat des pharmaciens privés reproche à la chaîne de magasins française de vendre des médicaments dans ses magasins. Il s’agit de l’alcool à 70 degrés, de l’éosine à 2% et des références de la gamme Juvamine.

Le mardi 17 juillet lors d’une rencontre avec les différentes associations du secteur et les journalistes, le ministre du commerce affirme que la législation actuelle en vigueur permet à n’importe quelle grande surface de s’installer au Sénégal. « Ceux qui pensent que les grandes surfaces ne doivent pas être acceptées, n’ont pas de vision. Elles n’ont besoin que de s’inscrire sur les registres de commerce et respecter les exigences fiscales », a tranché le ministre Alioune Sarr.

Le lendemain, le président de la République a abordé le sujet lors du conseil des ministres. Le Chef de l’Etat a demandé au Ministre en charge du Commerce d’engager une réforme du secteur de la distribution au Sénégal et de proposer dans les meilleurs délais, les textes réglementaires appropriés.

Tout porte à croire que Auchan demeurera vu les bonnes relations éternelles entre le Sénégal et la France. « Nous avons étudié le marché et nous savons que les clients sénégalais n’ont pas un gros budget notamment en milieu de mois et souhaitent parfois acheter de petites quantités et nous avons souhaité répondre à leurs besoins », une affirmation de Rubin Gautier devant le ministre du commerce qui affiche la volonté du groupe de s’éterniser au Sénégal

De quoi à ton peur ?

Entre les commerçants du marché d’Ouakam et Auchan Ouakam, c’est presque le jour et la nuit en matière de propreté. Ils vendent peut-être les mêmes produits mais les cadres diffèrent. Dans la plupart de nos marchés à Dakar, la propreté serait devenue un interdit. Les mouches et les moustiques se battent pour se tailler la part des produits avant l’arrivée des acheteurs alors qu’Auchan vend dans un cadre sain. La politique du prix affiché est à saluer également dans les boutiques contrairement à nos marchés traditionnels où le prix se fixe selon le client et l’humeur du commerçant. Le président de l’Association des consommateurs du Sénégal, Momar Ndao, avait affirmé publiquement que la présence de la filière française Auchan sur le marché est une bonne chose pour les consommateurs qui subissent depuis longtemps les actions des commerçants locaux. « Nos commerçants ne respectent pas les normes de fixation des prix et les conditions de conservation des produits ».

Selon nos enquêtes dans les boutiques Auchan, les produits sont bien conservés et bien entretenus. Ce qui est totalement différent de ce que nous observons au bord des rues et dans nos marchés traditionnels avec des fruits exposés et à la merci des mouches avec des tas de maladies au rang desquelles la diarrhée. A l’instar de ces 37 cas enregistrés fin juin 2018 à Djiddah Thiaroye Kao, une commune située dans la ville de Pikine, dans la zone périurbaine de la région de Dakar

Même si le maire Cheikh Dieng accuse, peut-être injustement la qualité de l’eau il n’en demeure pas moins vrai que l’insalubrité soit aussi la cause. Un autre phénomène dans nos marchés qui cause des milliers de maladies : ce sont les camions de ramassage d’ordures. En début de matinée, ils stationnent à l’entrée des marchés ceci pour au moins deux heures pour permettre aux commerçants et populations environnantes de jeter leurs poubelles de la veille. Une habitude bien cautionnée par les différentes mairies de la capitale et les services en charge d’hygiène dans ces marchés.

Voilà une raison qui peut pousser les Sénégalais à se diriger vers Auchan afin de se protéger des maladies imprévisibles. Ce qui a poussé le président de SOS consommateurs a invité les commerçants sénégalais à nous proposer mieux que ce qu’Auchan nous donne. Mais cet argument sanitaire est balayé de revers de la main par l’activiste Guy Marius Sagna et également un des initiateurs de « Auchan Dégage ».

« Dans ce débat l’argument insultant de la saleté de nos commerçants est agité par certains. En 1952, le service d’hygiène colonial disposait de 187 agents pour une population de 324.000 habitants, soit un agent pour 1.732 habitants. Au 1er janvier 2018 il y avait 31 agents pour 1.000.146 habitants soit un ratio d’un agent pour 33.707 habitants. Devant cette faillite totale en termes d’insuffisance criante du personnel, et si nous commencions par confier le ministère chargé de l’hygiène à l’étranger et non à s’attaquer au parfait bouc émissaire commerçant ? », s’est exclamé l’activiste dans une de ses tribunes intitulées « La fable du « bon » Auchan qui nous libère du « gros méchant » commerçant » datant du 12 juillet 2018.

 

« La France avait commis la même erreur »

Pour comparer le phénomène en France, nous avons demandé à Bernard Jomier, sénateur de Paris, de nous donner des précisions sur la place de ses grandes surfaces en France et éventuellement les conséquences que cela entraînerait si le groupe Auchan pliait ses bagages, « ce qui n’est point envisageable », selon les confidences d’une autorité que nous avons contactée.

« C’est un débat très important qui a lieu en France aussi. C’est-à-dire que les grandes surfaces, les centres commerciaux ont un effet très négatif sur les commerces de proximité.

C’est au Sénégal, et c’est partout dans le monde entier. Moi je vous appelle à ne pas faire l’erreur qui a été faite en France ou le développement des grands centres commerciaux en périphérie des villes a tué les centres villes. Actuellement il y a tout un rapport au Sénat et nous avons voté une nouvelle loi pour revitaliser les centres villes. Le bien du consommateur, la possibilité d’avoir le choix dans ce qu’on achète ne doit pas détruire les commerces de proximité.

C’est très important pour la vie locale. C’est du domaine de la loi de réglementer l’installation des grandes surfaces et je pense que dans ce cas-là, il faut aussi faire confiance aux élus locaux, aux maires, aux collectivités territoriales qui savent ce qui est bon ou ce qui ne l’est pas. Il faut savoir encadrer et réglementer, non pas interdire, pour que les créations des grandes surfaces soient limitées au strict nécessaire et ne porte pas atteinte aux commerces locaux ».

Extrait de l’entretien Vidéo

Le président de l’Association des consommateurs du Sénégal (Ascosen) s’est prononcé sur l’affaire Auchan. Selon Momar Ndao, la présence d’Auchan dans le marché local n’affecte en rien l’intérêt des consommateurs. « La campagne Auchan dégage est basé sur des intérêts politiques » a déclaré le président de l’Ascosen qui soutient que les politiciens se sont impliqués dans cette affaire pour critiquer le régime de Macky Sall. Justement une interpellation qui révèle notre attention puisque cette campagne contre Auchan revêt un aspect politique.

Fatima Mbengue, porte-parole et membre du Front pour une Révolution Anti-impérialiste Populaire et Panafricaine (FRAPP)/France dégage qui réclame le départ de Auchan du Sénégal est également porte-parole et membre active du Front national de résistance qui tient souvent ces rencontres au siège du PDS – Parti Démocratique sénégalais. Le parti qui a dirigé le Sénégal de 2000 à 2012. Comparaison n’est pas raison et la raison semble être du côté des défenseurs de la filière française dans cette illustration précise.
Sur les plateformes en ligne, une pétition a été lancée pour « dégager Auchan ». Même si les signatures tournent autour de 600, elle reste tout de même une action parmi tant d’autres.

Le lien de la pétition  https://www.change.org/p/l-etat-du-senegal-auchan-degage

 

C’est également le cas de la fameuse vidéo du saucisson plus connu sous le nom de Nafi, vendue par Auchan et qui aurait des corps étrangers. Le constat est bien visible sur la page facebook de la filière française au Sénégal. Que ce soit les « produits périmés », les « problèmes de monnaies », les « interdictions des sacs à main », les « prix affichés sur les rayons sont différents de ceux des caisses », Auchan reçoit tous les jours des critiques. Certains de ces témoignages en images

Sur 287 avis donnés sur la page facebook, nous avons dénombré un peu plus d’une centaine qui sont des réclamations et des remises en cause des services d’Auchan Sénégal. Une situation que connait parfaitement les gestionnaires de la plateforme eu égard à leurs réponses aux différentes inquiétudes. Si ces affirmations sont avérées, les ministères du commerce ; et de la Santé doivent soumettre le géant français à des contrôles fréquents, notamment en ce qui concerne les risques microbiologiques, sources d’intoxication alimentaire ceci dans le but de garantir aux consommateurs une sécurité et une qualité alimentaires maximales.

Des clients satisfaits, les demandent d’emploi et d’autres qui appellent à l’implantation de ces boutiques dans d’autres localités complètent les avis.

Par Ankou Sodjago

 

2 COMMENTAIRES
  • qatab

    De toutes les façons ce ne sont pas ces fumistes de politiciens qui vont nous priver de la qualité que nous voudrions bien avoir chez nous, mais que, malheureusement, nous n’avons pas et que Auchant nous offre.

  • tinecy

    Je suis d accord avec ceux qui pensent qu il faut reglementer.Et non interdire. Auchan doit poussrt nos nationaux a revoir et ameliorer leur offre de produits.le cadre de travail n as oas varie depuis le nuit des temps.Et a Dakar en tout cas, le comerce de quartier et les marche sont quasiment domines par des guineens au detriment des nationaux et cela ne derange personne. Fruits, viande, poissons frais poissons fumes, legumes recharges de credit tout cela est vendu par des guineens .A se demandet pourquoi on devrait construire des marches aux frais des contribuables . Que font les mairies pour corriger cette situation?
    Reglementation,libre concurrence et resoect du choix et de l’intérêt des consommateurs viola la voie a suivre je crois….

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