L’artiste est un chercheur, un travailleur. Nanu bayyi yakkamti ak gàawantu. L’art n’est pas la science, mais le sens de l’observation, la minutie dans la quête du réel, le souci de l’objectivité (ça n’a rien de paradoxal) sont présents dans les deux sphères.
Il n’est donc pas erroné de penser qu’il y a un peu de science dans l’art et un peu d’art en science. Féconder le réel qui semble précis et évident (c’est-à-dire sans problème au commun des mortel) en le forçant (par le sens du problème) à révéler l’inépuisable richesse qu’il renferme : tel est un autre point commun entre art et science. Un artiste fait souvent un travail de psychologue, de sociologue, etc. sans peut-être s’en rendre compte.
L’artiste enquête, interroge patiemment le réel pour que celui-ci parle aux humains, dans un langage qui leur est également accessible, et leur dévoile la vérité. Le scientifique observe, étudie, mesure, formule des postulats, expérimente avant de proposer des théories et des lois. Dans les deux cas, il s’agit d’aller au-delà de ce que les sens et la conscience immédiate perçoivent de façon certes pleine mais confuse.
Coumba Gawlo Seck vient encore, par cette offrande musicale, prouver que l’art n’est pas forcément un domaine où seule la fantaisie suffit. De toute façon, la fantaisie est elle-même un moteur de recherche pour davantage comprendre la complexité du réel. Dans cette production elle évoque l’histoire de nos héros et saints pour motiver les jeunes tout en critiquant le radotage devenu culturel. La vertu du silence est parfois dans l’accumulation de forces pour la résilience. La connaissance ne fait pas trop de bruit, car elle requiert beaucoup de sacrifices et d’épreuves.
Le plus sublime dans cette production de Gawlo, c’est que l’artiste fait la leçon à tout le monde dans un langage courtois, motivant, et tout cela sans blesser. Au-delà du symbolisme qui suinte dans les objets que l’artiste fait parler ici, il y a une belle illustration du mystère de la création : partir du trivial, de l’absurde pour créer, faire sens. « A quand viendras-tu soleil sur nos erreurs ? ». Oh quelle inspiration ! Cette parodie de l’hymne national qui nous invite à l’introspection est juste sublime aussi bien par la forme que par la profondeur et la justesse du message.
Le silence du soleil, celui du drapeau national qui flotte sans bruit, la tombe taciturne des héros, le silence de la mer face à la pratique (par Ahmadou) du culte obligatoire, la connaissance de Dieu par l’élévation spirituelle que propose Baye Niasse, etc. – tous ces silences devraient inspirer et inciter les forts-en-gueule à plus de modestie. Mais Coumba Gawlo a aussi utilisé son propre vécu pour expliquer le sens de la parole du silence ; oui, elle qui a failli perdre la voix et qui, grâce au travail sans tambour ni trompette des médecins et à la prière silencieuse, a retrouvé ses facultés d’élocution. Une véritable revanche sur le destin, une leçon de persévérance, un symbole de résilience : Coumba est certainement la preuve que le destin s’appuie sur notre propre liberté pour nous assujettir.
Le destin n’est pas, contrairement à l’étymologie, ce qui est fixé à l’avance par une puissance contre laquelle nous sommes radicalement impotents ; c’est plutôt ce qui est choisi par la conscience et que la volonté doit réaliser conformément à l’ordre de la nature (les lois). Même devant Ananké (Mythe d’Er, Livre X de la République de Platon) le choix [du modèle de vie] existe : c’est après ce choix que la nécessité s’impose. N’est-ce pas une façon allégorique de dire que le réel est régi par des lois nécessaires et que c’est en fonction de nos choix que nous rencontrons la nécessité ? Mais ces considérations nous éloignent de notre sujet qui est ici « Soleil » de Coumba Gawlo Seck. Ce soleil qui vient darder ses rayons sur nos erreurs et nos vices est à la fois un délice musical, une motivation pour le développement et une leçon de morale.
Le pouvoir politique devrait lui aussi méditer les vertus du silence et comprendre que l’épanouissement du peuple est la fin suprême. Cette production, en plus d’être belle, est un puissant appel à l’introspection qui passe par la célébration de nos Modèles et par le décodage du langage de la réalité pour délivrer un message plein de sens aussi bien pour le passé que pour le présent et le futur.
Alassane K. KITANE