Voici les raisons qui ont pousser Makhtar Diop à renononcer à diriger la BAD

L’économiste Makhtar Diop devait être le candidat de Dakar à la présidence de la Banque africaine de développement. Mais alors qu’il avait de grandes chances de l’emporter, il a décidé jeter l’éponge.

Pourquoi ?

Une petite phrase postée sur son compte Twitter, le 12 octobre, puis un communiqué d’Amadou Ba, le ministre sénégalais de l’Économie, ont sonné le glas des ambitions de Makhtar Diop, vice-président de la Banque mondiale chargé de l’Afrique, dans la course à la présidence de la Banque africaine de développement (BAD).

L’intéressé s’est exprimé le premier : « J’ai informé les autorités sénégalaises que je ne serai pas candidat […] Je les remercie de tout coeur. » En écho, le ministre, qui a précisé en avoir longuement parlé avec lui au cours des assemblées annuelles de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI), qui se tenaient à Washington du 10 au 12 octobre, a confirmé : « Le Sénégal ne présentera pas la candidature de Makhtar Diop au poste de président de la BAD. »

Cette décision a stupéfait tous ceux qui savaient que Makhtar Diop devait devenir le candidat officiel de Dakar dans la perspective du remplacement du Rwandais Donald Kaberuka, en mai 2015. Deux jours avant cet abandon, un ministre des Finances africain, réputé neutre, confiait à Jeune Afrique, en marge des assemblées de Washington : « Il est le mieux placé dans cette compétition.

Libéral modéré, Makhtar Diop a mené, partout où il a travaillé, le combat pour la bonne gouvernance.
Polyglotte

Qu’est-ce qui a pu faire renoncer cet économiste de 54 ans au riche parcours professionnel ? Formé à l’économie et à la finance au Royaume-Uni et en France, il a travaillé au FMI avant de devenir brièvement – un an – ministre de l’Économie et des Finances de son pays sous la présidence d’Abdoulaye Wade.
Fin 2001, il entre à la Banque mondiale. Il prend d’abord la responsabilité des opérations au Kenya, en Somalie et en Érythrée (2002-2005), puis supervise la stratégie de l’institution pour l’Amérique latine et les Caraïbes, plus particulièrement au Brésil. En janvier 2012, il est le premier Africain francophone nommé au poste prestigieux de vice-président chargé de l’Afrique.

Affable, polyglotte (il parle français, anglais et portugais), Makhtar Diop a ses entrées dans toutes les capitales du continent, et pas seulement en Afrique de l’Ouest. Il connaît sur le bout des doigts les carences et les besoins de l’Afrique.

C’est un libéral modéré qui, partout où il a travaillé, a mené le combat pour la bonne gouvernance prônée inlassablement par la Banque mondiale, estimant que les sociétés civiles doivent contrôler leurs dirigeants et que les Africains ont le devoir de se développer par eux-mêmes.

Annonce des intentions

Au cours de l’hiver 2013-2014, il informe Jim Yong Kim, le président de la Banque mondiale, qu’il envisage de se porter candidat à la présidence de la BAD. Son patron lui affirme qu’il a encore besoin de lui en 2014 et qu’après il pourra faire ce qu’il voudra. Mais fin septembre, Jim Yong Kim appelle Makhtar Diop pour lui faire part des plaintes qu’il a reçues à son encontre : le vice-président profiterait de ses fonctions à la Banque mondiale pour faire avancer sa candidature à la BAD…

Il lui annonce que, pour éviter tout conflit d’intérêts, il le suspend du département Afrique : qu’il prenne le temps de réfléchir à son avenir professionnel ; s’il le souhaite, il retrouvera ses fonctions par la suite.

Le 6 octobre, Makhtar Diop, qui conserve son statut de vice-président, est donc nommé conseiller spécial de Sri Mulyani Indrawati, la directrice générale et numéro deux de la Banque mondiale, chargée de l’Afrique à titre temporaire.

Début octobre, tout le monde croit encore qu’il ne va faire qu’une bouchée de ses sept adversaires à la succession de Donald Kaberuka.

Spéculations

Tout le monde croit alors qu’il ne va faire qu’une bouchée de ses sept adversaires – annoncés ou officieux – pour la présidence de la BAD, à savoir Jalloul Ayed, ancien ministre tunisien des Finances, Kordjé Bedoumra, ancien vice-président tchadien de la BAD, Akinwumi Adesina, ministre nigérian de l’Agriculture, Ato Sufian Ahmed, ministre éthiopien des Finances, Samura Kamara, ministre sierra-léonais des Affaires étrangères, Birama Boubacar Sidibé, vice-président malien de la Banque islamique de développement, et Cristina Duarte, ministre cap-verdienne des Finances, seule femme en lice et dernière à se porter candidate.

En jetant l’éponge sans la moindre explication, Makhtar Diop ouvre les portes à toutes les spéculations. Un ministre de ses amis estime qu' »il en a eu assez des nombreuses attaques dont il a été l’objet ». Malgré les objurgations du président Macky Sall, il aurait choisi de se préserver des coups bas, ayant sous-estimé la rudesse des affrontements qui l’attendaient. D’autres pensent que les cadres de la BAD lui ont savonné la planche, car ils font une allergie aux gens de la Banque mondiale, qu’ils jugent arrogants et peu compétents.

Certains, enfin, se demandent si Makhtar Diop n’a pas été la victime d’un marché entre Macky Sall et un autre président africain – le Tchadien Idriss Déby Itno ? le Malien Ibrahim Boubacar Keïta ? – sur le thème : « Je soutiens ton candidat, mais tu m’appuies sur tel dossier. » Mais quel dossier ?

Et puis il y a la thèse du complot nigérian. Premier indice : le candidat Akinwumi Adesina a été admis à participer à la réunion des ministres subsahariens des Finances au cours des assemblées de Washington, alors qu’il est ministre de l’Agriculture.

Qui aurait pu obtenir ce passe-droit, sinon Ngozi Okonjo-Iweala, grande argentière nigériane et ancienne numéro deux de la Banque mondiale, où ses hommes et ses femmes liges seraient à la manoeuvre au département Afrique ? Motif de cette tricherie : le Nigeria voudrait à tout prix la présidence de la BAD pour revenir à la hauteur de son rival de toujours, l’Afrique du Sud, qui détient la présidence de l’Union africaine.

Normalement, Makhtar Diop devrait retrouver son poste de vice-président chargé de l’Afrique à la Banque mondiale, conformément aux promesses de Jim Yong Kim, après cet intermède mouvementé de quelques semaines.

À moins que Ngozi Okonjo-Iweala, à laquelle la rumeur de Washington prête l’intention de revenir bientôt à la Banque mondiale à un poste de haut niveau, ne profite de cette valse-hésitation, dommageable pour l’image de Makhtar Diop, pour l’en empêcher – et prendre sa place. Le monde feutré des organisations financières internationales connaît, lui aussi, d’impitoyables batailles de pouvoir.

Jeune Afrique

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