Vie et mort de Lumumba : l’anticolonialisme assassiné

Le Congo n’est déjà plus le nom d’un pays, mais celui d’une crise internationale. Des pays occidentaux réfléchissent à « l’élimination » du Premier ministre Patrice Lumumba – y compris la France, montrent des documents français récemment déclassifiés.

A Léopoldville, le Premier ministre du Congo vit cloîtré. Privé de téléphone, il est assigné à résidence. Un premier cercle de casques bleus ghanéens le protège; un second cercle de soldats congolais le surveille. Le 27 novembre 1960, ce « prisonnier » se fait la belle : personne n’inspecte la Chevrolet dans laquelle ont pris place les domestiques à la fin de leur service.

Lumumba quitte la capitale. Direction : Stanleyville (Kisangani), son fief politique. Il espère y retrouver des troupes et des nationalistes qui lui sont restés fidèles.

Cette chasse à l’homme fera l’objet d’une cascade de courts télégrammes « très urgents » et « confidentiels ». L’ambassade de France cherche à tenir le Quai d’Orsay informé des tout derniers développements.

Un de ces télex, daté du 2 décembre 1960, rapporte que Lumumba a été arrêté par les soldats du colonel Mobutu à Port-Francqui (aujourd’hui Ilebo) sur la rivière Kasaï. Des casques bleus ghanéens cernent la maison où il est enfermé mais se retirent lorsqu’ils en reçoivent l’ordre.

« Transporté par avion à Léopoldville, monsieur Lumumba a été transféré dès son arrivée au camp de para-commandos du colonel Mobutu, signale l’ambassadeur Pierre-Albert Charpentier. Il a ensuite été conduit au cours de la nuit, sous escorte militaire, à Thysville où il a été incarcéré.»
L’élimination de M. Lumumba est un objectif « désirable en soi ».

Au camp Hardy, non loin de Thysville, ville de garnison qui s’appelle aujourd’hui Mbanza-Ngungu, c’est le début de la fin. Lumumba sera battu par des soldats. Ces mauvais traitements, de plus en plus cruels, culmineront par son assassinat, le 17 janvier 1961.

Avant même son « évasion », beaucoup de diplomates occidentaux pensaient que la présence de Lumumba à « Léo » était un obstacle au règlement de la crise congolaise.

C’est le point de vue de Jean Sauvagnargues, un diplomate qui deviendra ministre des Affaires étrangères sous Valéry Giscard d’Estaing. « L’élimination de M. Lumumba, écrit-il, le 3 octobre 1960, est un objectif « désirable en soi ». Élimination politique ou physique? Sur ce point, le texte de Sauvagnargues n’est pas clair. Il ajoute cependant qu’il serait « sage que les puissances occidentales adoptent une attitude d’extrême réserve ».

Ce n’est pas le point de vue de la Belgique. Deux jours plus tard, le ministre belge des Affaires africaines, le comte Harold d’Aspremont Lynden, évoquera l’« élimination définitive » de Lumumba dans une lettre que cite le sociologue Ludo De Witte dans son « Assassinat de Lumumba » (Karthala). Ce même ministre insistera, après l’arrestation de Lumumba, pour que le prisonnier soit transféré au Katanga, où il sera fusillé.

L’arrestation du Premier ministre provoque de violentes réactions dans l’est du Congo, d’où Lumumba est originaire. Les troupes qui s’y sont soulevées, prévient le colonel Mobutu, alors chef d’état-major de l’armée, lors d’un entretien avec l’attaché militaire français, ont l’intention d’atteindre Léopoldville « en exécution d’un plan minutieusement préparé ».

L’arrestation d’un élu, qui bénéficie de l’immunité parlementaire, soulèvera l’indignation à l’étranger. Surtout après que les photos où l’on voit des soldats battre leur prisonnier sous l’œil de Mobutu commencent à circuler.

Le blessé sera examiné par le médecin personnel de Mobutu, le prince Stéphane d’Arenberg. Celui-ci évoquera l’état de santé du Premier ministre lors d’un entretien avec l’ambassadeur de France, Pierre-Albert Charpentier. Dans un télégramme « confidentiel » daté du 7 décembre 1960, le diplomate résume les propos du médecin:

« L’ancien Premier ministre portait quelques traces des mauvais traitements subis à Léopoldville (notamment un œil poché et une entorse bénigne à un pied). Il est maigre, a le crâne rasé, mais en bonne condition physique. L’homme est pourtant abattu, humilié, méconnaissable. »

Lumumba, qui n’aurait pas eu « de réclamation à formuler », du moins selon ce médecin belge, est « traité humainement et ne risque pas d’être assassiné ».

L’ambassadeur se doute bien que la visite de ce médecin est à visée politique. « Étant donné les photographies prises de Lumumba battu par des soldats, il était nécessaire de donner une certaine publicité à la visite de médecins belges à l’ancien Premier ministre », écrit-il.

Journée fatale pour le dirigeant nationaliste

Depuis Thysville, le « traître Patrice Lumumba », persiflent ses ennemis, sera transféré à Élisabethville (Lubumbashi), capitale du Katanga indépendant, le 17 janvier 1961.

Dans « L’assassinat de Lumumba », Ludo De Witte décrit cette journée fatale pour le dirigeant nationaliste. Elle débute par un premier vol – des soldats amènent Lumumba de Lukala à Moanda – puis un second, à destination d’ « É’ville ». Pendant le trajet, le prisonnier est tabassé et molesté.

Après l’atterrissage du DC-4 dans la capitale minière, Lumumba est roué de coups –sur le tarmac — par des soldats congolais et au moins un sous-officier belge. Jeté dans une jeep, ligoté, le prisonnier est conduit dans une maison inoccupée à quelques kilomètres de là et enfermé dans la salle de bain, où il sera à nouveau brutalisé.

Accompagné de militaires et policiers, Lumumba et deux autres prisonniers, Maurice Mpolo (ex-ministre des Sports) et Joseph Okito (ex-vice-président du Sénat), sont amenés, une fois la nuit tombée, à une cinquantaine de kilomètres de là, dans une savane boisée. Ils seront fusillés par trois pelotons d’exécution sur ordre d’un officier belge.

Ce jour-là, l’ambassadeur de France écrit à Paris pour expliquer que, malgré l’arrestation du dirigeant nationaliste, rien n’est joué: « Nous pouvons nous trouver rapidement devant un retour de monsieur Lumumba. » Charpentier ne peut savoir que le Premier ministre sera exécuté le soir même.

Le lendemain, le diplomate continue de tenir le Quai d’Orsay au courant de ses activités. Il s’est entretenu avec le ministre congolais des Affaires étrangères, Justin Bomboko, qui reproche aux Occidentaux de ne pas fournir assez d’armes à une Armée nationale congolaise (ANC) menacée, à son avis, par le péril communiste. Lors de cette rencontre, Bomboko accuse Lumumba d’avoir expédié « plus de 10 000 » fusils en Algérie où la France est en guerre contre les nationalistes. Charpentier relaie cette information (et son incrédulité) dans un télégramme « secret ».

Le diplomate peut difficilement savoir, au lendemain de l’assassinat, que Lumumba a été tué : le Katanga cachera ce meurtre pendant trois semaines. Radio Katanga n’annoncera son « évasion » que le 10 février 1961. Les autorités katangaises ajouteront, trois jours plus tard, que Lumumba a été reconnu par des villageois qui l’ont tué. Un médecin belge signera un faux certificat de décès.

Au Katanga, cet assassinat de ne suscite guère l’indignation, au contraire. « Chez les étrangers, Belges et autres, peu de regrets sur la disparition du personnage, mais de l’inquiétude sur les conséquences de la publicité faite autour de l’événement, rapporte Marcel Thibault, consul de France à Élisabethville, dans un câble daté du 16 février 1961. Chez les Katangais, cela va de l’indifférence totale à la joie bruyante en passant par le soulagement. »

Le consul a du mal à croire que le « père » de l’indépendance du Katanga ait pu être mêlé à cet assassinat, même si l’on sait aujourd’hui que Moïse Tshombe a assisté à son exécution. « Il ne semble nullement établi que l’équipe gouvernementale et plus spécialement Tshombe, qui n’a rien d’un sanguinaire, ait déclenché l’opération », écrit Thibault.

Godefroid Munongo, bras droit de Tshombe, a pourtant joué un rôle de tout premier plan dans cette affaire, selon Ludo De Witte.

Thibault ne veut pas croire, non plus, à un éventuel rôle de la Belgique : « Il ne fait de doute pour quiconque ayant un peu d’honnêteté ou de bon sens, que (les Belges) ne sont absolument pour rien, ni dans le transfert de Lumumba, ni dans sa mort. »

C’est bien la Belgique, toutefois, qui a présenté des « excuses » au peuple congolais et exprimé ses « profonds et sincères regrets » en 2002 pour son rôle dans l’assassinat de Lumumba.
Avec Rfi

3 COMMENTAIRES
  • elimane

    ils allument le ils l’attisent et après ils viennent jouer au pompier on a tout compris.

  • pop

    l’Afrique un continent de traîtres, où les courageux et partisans de la vérité sont toujours combattus sauvagement et éliminés . Hélas

  • zam

    ils allument le feu d’accord mais les Africains aussi acceptent toujours de combattre et vendre lâchement leurs frères

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