Serigne Cheikh ou l’icône vivante de l’universel, Par Ahmed THIAW*

Est-il encore besoin de présenter le guide spirituel, Cheikh Ahmed Tidiane Sy ? Qui peut vraiment braver un exercice aussi périlleux, sans bégayer ni bredouiller, sans répéter, à l’ennui, ce que personne n’ignore ?

On l’aime ou on ne l’aime pas, mais il a fracturé, depuis longtemps, les verrous de notre mémoire collective, s’invitant, par la force de ses convictions et de ses idées, dans le panthéon des immortels. Oui, l’homme a déjà signé, avec les générations présentes et futures, un contrat immuable de respect, d’amour et d’admiration. Il aura fini de confirmer, aussi, un adage bien connu : «Bon sang ne saurait mentir». En cela, il n’est pas superflu, peut-être, de noter, en passant, qu’il est le fils du Calife Ababacar Sy et le petit fils de l’Imam Hadj Malick Sy…

Il serait simpliste, pour autant, de vouloir suspendre le renom et l’influence de cet homme de Dieu au seul avantage de sa généalogie. C’est parce que toute filiation porte, avant tout, le sceau inconditionné de la prédestination. Or, un mérite, pour être revendiqué à bon droit, ne devrait nullement être l’œuvre exclusive et solitaire de la fatalité. Toute destinée, qui acquiert force d’exemple, aura subi, préalablement, le déterminisme de la volonté individuelle. Serigne Cheikh l’a très bien compris, lui qui s’est forgé un destin, qui s’est frayé une voie, au prix de multiples épreuves dont la moindre est sa double mise aux arrêts, sous le régime de Senghor. Et comme si le prophète David, rappelé parmi les vivants, avait choisi de se réincarner en lui, que de métiers, dans sa prime jeunesse, ont éprouvé sa silhouette pourtant si frêle ! Tout y est passé, depuis les travaux champêtres jusqu’aux montages financiers des hommes d’affaires. Un peu comme pour tutoyer les douze travaux d’Hercule, il a été, avec des fortunes diverses, cultivateur, commerçant, transporteur, industriel, etc. Aussi, pourrait-on dire, sans la moindre intention de « starisation tendancieuse», qu’il a payé, de sa personne, le royaume de sympathie et de considération taillé dans le cœur de ses compatriotes, musulmans ou non.

De la même manière, il serait malvenu, à notre avis, de rechercher les clefs combien enviables de sa notoriété dans les abysses insondables de sa seule puissance intellectuelle, pour remarquable que soient, du reste, sa formation et son parcours initiatique. En folâtrant dans les jardins de sa poésie hors du commun, l’on peut glaner cette fleur insolite au parfum enivrant :

 

« (…) Aucun syllogisme ne saurait être assez élaboré pour étourdir mon entendement. Aucun concept ne saurait être assez aérien pour soumettre, à rude épreuve, mes talents d’exégète.

Mon esprit a fini d’apprivoiser les moindres secrets de la rhétorique et les échos de mon éloquence retentiront à jamais (…) »

Dans cette confession chevaleresque, il y a une note envahissante de fierté et d’assurance dont les fondements restent, en tout cas, insaisissables. Ainsi, à juste raison, on le surnomme, à l’image du fondateur de la Tidjaniyya, dont il est l’homonyme, «Al-Maktuum » ou le Mystérieux…

Sauf à préciser que le mystère qui enveloppe le nom de Serigne Cheikh n’est pas le synonyme de « l’inqualifiable ». Les caractérisations, le concernant, peuvent s’égrener à l’infini : il est beau ; il est bon ; il est bien ; il est béni ; il est brave ; il est bilingue et que sais-je encore ! Le mystère dont il est auréolé n’est pas assimilable non plus à « l’inquantifiable » : Serigne Cheikh a horreur de la médiocrité et même le passable n’a jamais été à son goût. L’excellence, seule, est son élément, son milieu naturel.

Génie du pouvoir et pouvoir du génie, c’est à ce binôme que nous aurions résumé, tout simplement, son œuvre et sa personnalité. Un pouvoir toujours flamboyant, qui s’impose de génération en génération, gagnant même en consistance, du haut de ses quatre vingts ans révolus. Un génie toujours pétillant, qui a remporté le pari de la jonction inattendue, que dis-je, de la synthèse sophistiquée de toutes les forces, de toutes les réalités, de tous les principes que les faibles d’esprit, eux, s’empressent de juger inconciliables : politique et religion, matériel et moral, humour et sermon, action et poésie, communication et mutisme, adversité et civilités, refus et dialogue, costume et boubou et j’en oublie !

Ici, c’est le lieu de porter l’attention sur un signe historique et géographique : Cheikh Ahmed Tidiane Sy est né, là-bas, à Saint-Louis du Sénégal, ville lointaine des signares où le colon a jadis côtoyé l’autochtone, où la route du nègre et celle du berbère se sont croisées, où le clocher de l’église et le minaret de la mosquée hérissent le même ciel, où le lit du fleuve et les vagues de l’océan filent, depuis toujours, le parfait amour, où, encore, l’eau et la terre conjuguent, tendrement, leur esthétique et leur poétique . C’est cela qui fait de l’insularité un hymne à la dualité savamment composée par la nature. Et le message de l’île a, sans doute, claironné, depuis le berceau, dans l’âme de cet artiste de naissance.

En somme, la singularité de Mame Cheikh, le patriarche aujourd’hui, icône vivante de l’universel, réside, incontestablement, dans sa culture de la dualité assortie de la quête du juste milieu, et à travers laquelle, le musulman vertueux, ni ange ni démon, devient, comme lui, une valeur, un symbole dont tous les croyants vaccinés contre la jalousie peuvent dire : « VOICI UN HOMME DE DIEU ! »

*Moustarchid

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