« Redonner à la jeunesse du souffle et un espoir pour la stabilité du pays » (Par Malick Diagne)*

La question du chômage et de l’inactivité des jeunes est devenue l’un des problèmes majeurs de notre pays. La plupart des gouvernements qui se sont succédés au pouvoir depuis plus de quatre décennies ont essayé de la résoudre sans y parvenir. Plusieurs réformes et de multiples projets ont été entrepris ou envisagés ces dernières années, des progrès parfois enregistrés. Mais le mal du chômage et le désœuvrement de l’immense majorité des jeunes de moins de 35 ans avancent plus vite que les efforts entrepris pour les enrayer.

Notre pays fait face à une situation jamais connue dans le passé avec des incidences sociologiques, psychologiques et économiques qui posent le débat en des termes nouveaux. Il résulte de tout cela que la problématique de l’emploi des jeunes ne peut plus être abordée de façon classique et mécanique comme par le passé, qu’elle se heurte à des obstacles d’un genre nouveau et qu’elle exige des efforts d’imagination et une volonté politique assumée.

Les réponses de type mécanique et instrumental qui sont actuellement envisagées sous estiment la situation de détresse et l’hypothèque que la jeunesse fait peser sur notre société. En ces moments où l’urgence de se pencher sur ce grand corps malade de notre pays apparait de plus en plus clairement, la prise de conscience collective est de plus en plus lente, les réponses des pouvoirs publics de plus en plus inopérantes à la racine et la confiance des jeunes en leur pays de plus en plus en déperdition. Voilà donc ce à quoi nous ont mené ces deux dernières décennies : une politique de naissance non contrôlée et non accompagnée qui a détruit les liens sociaux avec comme corollaire des structures d’encadrement et d’accompagnement (famille, quartier, commune) en voie d’affaiblissement.

De ce fait, la crise de l’emploi des jeunes conjugue aujourd’hui ses effets avec deux autres crises

– la crise du lien social due à l’instabilité de la famille qui met les jeunes sous pression, au mode d’urbanisation, au niveau d’étude de plus en plus élevé dans cette couche de la population. Les amortisseurs sociaux qui devaient servir de régulateur sont en dépression et inopérants face au désœuvrement de la jeunesse qui constitue aujourd’hui un facteur déterminant de dislocation du lien familial, social et national.

– La crise du lien national liée à un malaise profond et à l’immobilisme des pouvoirs publics (c’est ainsi que la jeunesse le perçoit). Dans la situation actuelle où la distance entre les pouvoirs publics et la jeunesse est de plus en plus prégnante, cette crise aboutit à un mal vivre et à un mal être qui ouvrent la voie à un besoin vital de changement et d’aventure. Bien entendu ces handicaps sont selon le cas aggravés par une pyramide des âges bosselée avec des jeunes de moins de 35 ans qui forment à eux seuls plus de 73% de la population entière. Plus des 4/5 d’entre eux sont sans activités et dans la plupart du cas dans l’oisiveté et le désœuvrement total. On retrouve maintenant dans cette catégorie de la population et en nombre croissant de jeunes diplômés en attente d’un travail décent. La trajectoire de rajeunissement accéléré de notre pyramide démographique est impressionnante de ce point de vue.

Tout compte fait, la superposition de ces trois crises qui s’entretiennent les unes les autres est inédite. Non seulement elle illustre de manière très nette l’une des principales métamorphoses qu’a connu notre pays ces 20 dernières années mais elle interpelle également les pouvoirs publics sur l’urgence à apporter des solutions au désœuvrement de la jeunesse sous peine de se laisser dépasser, déborder et submerger par une bombe sociale dont les déflagrations pourraient accélérer la liquidation de notre héritage national.

Effondrement des repères, crise de l’exemplarité, mutations de l’information et influence des réseaux sociaux, la cohésion de la société sénégalaise n’a jamais été aussi mise à mal par cet autre processus, moins visible à l’œil nu mais néanmoins lourd de conséquences : Il s’agit d’un détachement de cette frange supérieure de la société sénégalaise que constitue la jeunesse sénégalaise. Ce processus est extrêmement périlleux.

En effet, si dans la déception, il y a encore de la place pour le dialogue, dans le détachement, c’est la relation même qui, lentement, se décompose et génère une volonté de rupture, laquelle peut se concrétiser par une révolte ou de multiples formes de repli, parmi les plus radicales. Le divorce est alors consommé et la défiance définitive. Or, il faut tout faire pour éviter cette défiance ruineuse pour la société tant elle altère son équilibre et sa stabilité. Il y a donc une extrême urgence à mettre notre pays à l’abri de ces secousses qui rendraient difficile l’immobilisation de potentielles révoltes futures. Tout comme le temps nous presse de chercher de nouvelles méthodes d’action pour redonner du souffle et de l’espoir à la jeunesse.

Agir par la proximité pour répondre efficacement au malaise
Face aux défis à relever dans l’urgence, Seules seront efficaces la crédibilité et la volonté d’agir par la proximité pour répondre à cette inquiétude sourde, cette grande lassitude qui s’empare et mine une grande partie de la jeunesse il est évident que notre pays n’allègera le poids de ces contraintes que par la crédibilité et la confiance qu’il va inspirer à la jeunesse. Celles-ci passent en particulier par le caractère irrévocable de son choix pour la jeunesse qu’il doit exprimer de manière claire et sans équivoque, avec comme finalité la réduction de l’oisiveté et du chômage dans cette couche de la population

Comment rétablir la confiance et faire revenir l’espoir ? Par une volonté assumée de faire les bons choix et les bons arbitrages, par l’attractivité de nos localités, l’encouragement à l’engagement pour l’utilité publique, à partir des quartiers. La proximité et le local n’ont pas été suffisamment explorés dans la recherche de solution durable au chômage et au désœuvrement des jeunes. Or les projets d’intérêt public à l’intérieur des quartiers s’imposent comme un cadre pertinent pour entretenir une relation contractuelle dans laquelle les jeunes se sentent écoutés, valorisés et responsabilisés

L’Etat doit explorer tous les moyens d’opérer cette volonté : investissement dans le local mais aussi formation, aménagement du quartier pour en faire un cadre d’éducation au civisme et à la citoyenneté mais également un lieu d’éclosion de la citoyenneté, de la vitalité entrepreneuriale et des projets d’intérêt et d’utilité public dans des secteurs clé comme le reboisement, le cadre de vie, la sécurité, le sport, le négoce et le business, les services, le soutien scolaire, les Ntic etc…. Les jeunes ont montré qu’ils étaient capables de se mobiliser pour une cause nationale dès lors qu’on leur offrait la possibilité de montrer leur attachement et leur engagement pour leur pays. Ce fut le cas avec les moments de fierté nationale qui ont accompagné le succès des lions du Football lors de la récente Coupe d’Afrique des National au Cameroun. La jeunesse sénégalaise a été au premier plan.

Pour le gouvernement et les pouvoirs publics, c’était une cure de jouvence, un déclic sur lequel il fallait surfer pour faire bouger les lignes et imaginer des solutions novatrices. Mais rien n’est encore perdu.

Une simple volonté politique affichée et une mobilisation des pouvoirs publics en direction de la jeunesse peuvent à nouveau faire démarrer les compteurs et recréer l’espoir, notamment dans les milieux populaires, les plus fragiles et les plus exposés. Tout juste, faudra-t-il prélever sur les nombreux Fonds qui peuplent le budget annuel des ministères, comme le Fonds de Dotation de la Décentralisation (FDD), le Fonds d’Equipement aux Collectivités locales (FECL), le FONSIS, le FGA etc…Avec ces prélèvements imposés par la nécessité et l’obligation de garantir l’autonomie de la jeunesse mais également de concrétiser cette préoccupation pour l’emploi des jeunes qui est désormais très partagée dans notre pays, il est possible de mobiliser plus de 100 milliards de F Cfa chaque année pour une subvention annuelle aux jeunes dans les 3000 quartiers officiels du Sénégal à raison de 30 millions par Association de quartier à titre de dotation pour des œuvres associatives d’intérêt et d’utilité publics.

A travers leurs Associations respectives, les jeunes portent et montent leur dossier, viennent le défendre devant un Comité, organisent les actions sur le terrain et viennent justifier l’utilisation des Fonds à une fréquence déterminée. A mi chemin entre le micro crédit à visée sociale et le budget participatif, cette grande initiative induit que de simples citoyens peuvent être légitimement parties prenantes dans les choix et dans la gestion des Fonds publics et que la finalité consiste à favoriser des projets utiles à tous.

Il est utile de rappeler que l’interventions des Associations vient compléter et non se substituer aux politiques de droit commun des Collectivités locales concernant l’action sociale, l’éducation, le cadre de vie. Il est aussi important que les Collectivités territoriales comprennent qu’elles ont l’obligation d’accompagner L’Etat dans ce grand projet qui nécessite la mise à disposition d’une maison de la jeunesse dans chaque quartier, dont les charges seraient dans les dépenses obligatoires des communes. Ce changement à opérer sur la nomenclature budgétaire des Collectivités territoriales se justifierait par le fait que le projet est basé sur une conception participative, intégrée de l’action publique, s’appuyant prioritairement sur les ressources qui existent au niveau local.

Un déplacement du curseur des communes vers les quartiers
La mise en place de ce dispositif doit être très sérieusement préparée, pensée et organisée. C’est bien sur une multiplicité des leviers qu’il faut jouer et c’est également un ensemble d’acteurs qu’il faut mobiliser au quotidien (Préfets, sous-préfets, services déconcentrés de l’Etat dans tous les domaines susceptibles d’être explorés par les Associations, services de la commune, délégués de quartier) pour constituer les Comités de pilotage à l’échelle de chaque département avec la mission de veiller à ce que le dispositif remplisse, dans des conditions de fonctionnement correctes, les objectifs qui lui sont rattachés. Sous la supervision des préfets, les Comités fonctionnent comme un service public de l’aide à l’initiative citoyenne avec un dispositif simple et mutualisé.

En tant qu’outil de politique publique, ce nouveau dispositif vise prioritairement à contribuer au développement de la citoyenneté comprise comme la capacité à s’insérer dans la vie de leur pays, à partir de leur quartier, à agir volontairement pour le compte des pouvoirs publics et à nourrir au quotidien le sentiment d’être partie intégrante de la nation.

Par conséquent, le contrôle à priori et à postériori de l’utilisation des subventions est fait avec une très grande rigueur. Il ne s’agit pas de financer n’importe qui, n’importe quoi et sans demander des comptes. La tenue d’une compatibilité et la présentation d’un bilan à l’issue de la période d’exercice sont des éléments qui doivent être intégrés dans un cahier de charges.

Au niveau national, l’animation de ce dispositif serait avantageusement assurée par un comité de pilotage avec des démembrements dans les départements de façon à constituer un ensemble pluraliste et cohérent, ce qui donnerait de la souplesse aux contacts avec les différents acteurs, le tout sous la supervision d’un grand ministère de la Décentralisation, des Initiatives et des Libertés locales. Ce ministère devrait dans l’urgence porter les grandes réformes pour accompagner le processus qui a besoin de supports concrets (de nouvelles dispositions législatives et réglementaires) pour s’investir pleinement : modification de la nomenclature budgétaire des Collectivités locales pour assurer la mise à disposition de locaux aux Associations de jeunes dans les quartiers, modification de la loi et des décrets sur les Associations, vote de nouvelles lois sur les libertés locales pour canaliser de façon féconde les énergies de la jeunesse, encourager les capacités collectives à s’organiser et à monter des projets utiles dans les quartiers

* Malick DIAGNE

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