Profanations des tombes, pratiques païennes : Les Sénégalais tentés par le diable

Le Sénégal est un pays très religieux. 95% de sa population est musulmane, les Chrétiens sont estimés à environ 5%. Cependant, dans la pratique, le trait d’union entre des adeptes de ces deux religions révélées, est la persistance de pratiques païennes qui ne sont acceptées ni par le Coran ni par la Bible. Des croyants sénégalais continuent de «confier» leur destin à des charlatans, «marabouts», sorciers et autres maîtres de pratiques occultes, mystiques qui prédisent à leurs clients le succès de leurs entreprises s’ils se procurent divers objets mortuaires. Ils sont alors invités à faire des sacrifices inacceptables, voir même extrêmes, uniquement pour une ascension sociale rapide, venir à bout de problèmes qui les assaillent. En atteste, entre autres, les nombreux cas de profanations de tombes notés ces temps-ci. Quid des harcèlements, viols et autres sacrifices rituels impliquant des albinos et malades manteaux ? Sud s’est intéressé à ce phénomène

Au Sénégal, nous sommes presque tous des musulmans ou chrétiens. Mieux, ce pays de l’Afrique de l’Ouest fait partie des mieux islamisés, nous dit-on. 95% de musulmans contre environ 5% de la population qui est chrétienne. Malgré tout, l’on tarde à se départir de nos pratiques païennes. Rares sont des Sénégalais qui ne se sont jamais présentés chez «un charlatan ou maître des pratiques occultes» pour savoir ce que l’avenir leur réserve. D’autres part, ils sont nombreux, ces Sénégalais qui, pour un mieux-être ou pour un poste de responsabilité, se livrent à des pratiques incompatibles avec la religion et la morale.

A titre d’exemple, ces derniers temps, la profanation des tombes est en vogue. Le cimetière musulman de Pikine, plusieurs fois visité, semble être le lieu de prédilection des malfaiteurs. L’un des derniers cas de profanation, en l’espace de quelques semaines, a été déploré le mercredi 2 mars. En effet, le corps d’une dame de 80 ans, décédée lundi 29 février et enterrée le jour suivant, a été exhumé avant-hier, mercredi et jeté à l’air libre. Auparavant, une série de plusieurs cas d’exhumation de corps avait été notée dans ce cimetière. Des pratiques qui ont valu aux fossoyeurs des lieux un séjour carcéral. Saer Ngingue et son complice, un certain Niasse, ont été mis aux arrêts.

En février dernier, c’est la dépouille d’un jeune élève de Cm2 qui a été retirée de sa tombe, avec la moitié de son linceul emporté, juste après son enterrement. La même période, une affaire identique s’est produite à Louga. Un expatrié a été arrêté, avec son compagnon, après s’être introduit nuitamment dans les cimetières d’une localité pour enfuir, selon les médias, des gris-gris dans une tombe. Il y a de cela quelques années, en 2012, le cimetière catholique de Saint Lazare de Béthanie a été visité par des malfaiteurs. Dans la nuit du 6 au 7 octobre de cette année, des individus ont profané 57 tombeaux et volé autant de statues en bronze du Christ qui étaient incrustées sur les croix. La liste est loin d’être exhaustive.

PERE ARMEL DE EGLISE NOTRE DAME DU CAP VERT DE PIKINE : «C’est un manque de respect total et absolu des morts»

La profanation des tombes est inacceptable. Le qualificatif est de Père Armel de l’église Notre Dame du Cap Vert de Bountou Pikine. «C’est un manque de respect total et absolu des morts». Or, trouve-t-il, «ils ont même besoin de plus de respect dans la mesure où ils n’ont aucune forme de défense». La profanation des tombes est une atteinte grave aux différentes religions, relève-t-il. «Qu’ils soient chrétien ou musulman, tout mort est enterré selon les recommandations de sa religion. Et, ces pratiques constituent donc une attaque contre la religion puisque ces profanations ne sont pas faites pour faire souffrir la famille ou par vengeance aux morts, mais elles sont liées à des pratiques mystiques, de maraboutages et de sorcelleries». Selon Père Armel, quel que soit le mobile, la pratique est une atteinte à la dignité humaine. «C’est grave pour la personne décédée et sa famille, mais aussi pour la religion. Les gens qui font ça n’ont plus aucun respect de la vie. Ce sont des pratiques traditionnelles mauvaises», affirme-t-il.

OUSTAZ ALIOUNE MBAYE, PRECHEUR A SUD FM : «Le profanateur d’une tombe n’a plus aucun droit à la vie»

Pour oustaz Alioune Mbaye, le profanateur d’une tombe n’a plus aucun droit à la vie. Mieux, renchérit oustaz Alioune Mbaye, aucun privilège de la vie ne doit pousser un homme à déshonorer son prochain. «La profanation des tombes est bannie par l’Islam. C’est un acte ignoble. Elle n’est acceptée ni par la morale encore moins les coutumes. Celui qui le fait doit être tué. Même la médisance sur une personne vivante est bannie par l’Islam, à fortiori la maltraitance d’un mort», a-t-il dit. A l’image de la religion chrétienne, l’Islam trouve que la profanation d’une tombe est une atteinte grave à la morale religieuse. «Les morts sont enterrés selon un rituel qui impose qu’ils soient respectés. Donc, seule une personne qui a perdu la raison est capable de profaner une tombe», a-t-il jugé.

HARCELES, VIOLES, SACRIFIES ET… TUES : Albinos, et malades mentaux «coupables» de ce qu’ils sont

Dans notre société, nombreuses sont les personnes persécutées, tuées pour ce qu’ils sont. Il y a de cela quelques années, en 2012, à la vielle de l’élection présidentielle, les albinos se disaient persécutés. Ces derniers sont considérés, à cause d’une simple anomalie génétique, comme des êtres surnaturels. Ils sont tués, violés, harcelés pour des besoins de sacrifices.

Des siècles après l’arrivée des religions révélées, le Sénégal est toujours dans le syncrétisme religieux. Des hommes et des femmes qui ont perdu la raison sont souvent la cible de personnes mal intentionnées. Violées, victimes d’une grossesse non désirée, des déficientes mentales sont très souvent contraintes à porter des enfants qui ne deviendront, plus tard, qu’un «fardeau» pour leurs proches, la communauté etc.
Ces actes indécents et inhumains s’expliquent par le fait qu’on (féticheur, marabout, sorcier…) a recommandé à une quelconque personne de passer, ne serait-ce qu’une seconde, avec une femme vierge pour que sa vie soit transformée en un véritable paradis sur terre.

Par ailleurs, comme ce fût le cas à Tambacounda il y a de cela un an, des malades mentaux sont tués à des fins méconnues. Au Sénégal chacun croit en Dieu. Cependant, pour une ascension sociale plus rapide ou autre, de nombreux sénégalais choisissent de confier leur destin à un charlatan ou devin. Pour ces gens, le mérite et le travail ne sont pas des choses sur lesquelles ils peuvent compter. Ils sont prêts à « forcer » le destin, quand tout semble s’arrêter !

PR IBRAHIMA SOW, DIRECTEUR DU LABORATOIRE DE L’IMAGINAIRE DE L’IFAN : «Ces pratiques dénotent que notre société est gravement malade»

La récurrence de la profanation des tombes au Sénégal est révélatrice d’une société maladie. L’analyse est du directeur du Laboratoire de l’imaginaire de l’Institut fondamentale d’Afrique noire (Ifan), Ibrahima Sow. Selon le professeur-chercheur, cette maladie a certes toujours existé, mais le développement des médias a permis d’en mesurer l’ampleur.
Depuis un certain temps on assiste à une recrudescence d’actes de profanation de tombes dans des cimetières de la banlieue de Dakar et aussi dans certaines régions de l’intérieur du pays. Qu’est-ce qui pourrait expliquer un tel comportement chez un individu ?

Ce constat, hélas, n’est pas bien nouveau. Il faut dire que les moyens de communication et leur possibilité de diffusion font que les nouvelles vont vite et se propagent davantage qu’avant, au point que c’est devenu presque banal d’entendre de tels actes. Est-ce que l’on peut parler de recrudescence ? C’est possible, parce que les temps et les préoccupations ayant changé au vu des contextes politiques, économiques et autres qui sont de plus en plus anxiogènes, le recours au magique semble, pour certains individus, un moyen plus efficace d’arriver à leurs fins.

Ce qui explique de tels faits est, quoi qu’on dise, significatif d’une certaine régression des valeurs morales et religieuses et des mentalités et qui amène certaines personnes à penser qu’elles pourraient, par de tels actes, s’assurer le succès attendu. En effet, ces actes de profanation ne sont pas gratuits. Ils sont faits dans des buts bien précis qui obéissent à des pratiques ou à des rituels magiques toujours édictés par de prétendus «marabouts» qui prédisent à leurs clients le succès de leurs entreprises s’ils se procurent divers objets mortuaires à «travailler», à mettre sous un conditionnement magique approprié: ossements de cadavre, morceau de linceul, sable de cimetière, organes. On spécifie même parfois du cadavre: le genre, l’âge, le jour de mort, la position géographique, l’heure, etc. pour garantir l’efficacité. Jamais donc un individu n’irait tout seul prélever quoique ce soit dans un cimetière qui ne lui soit d’abord prescrit par un «marabout», un «devin», un thérapeute ou autre praticien de l’imaginaire et des sciences occultes. Le client dit ce qu’il veut et le «marabout» dit comment faire pour y arriver.

Qu’elles peuvent être les motivations des auteurs de ces actes et de leurs commanditaires ?

Les motivations sont multiples et peuvent concerner toutes les couches de la population. En effet, on est dans le registre des maraboutages qui sont des pratiques dites «mystiques», mais qu’il est plus juste, pour ma part, de qualifier de «magiques». C’est pourquoi il ne faut pas, comme on a coutume de le faire, criminaliser et suspecter seulement les politiciens, les lutteurs et les footballeurs de nawétane. Toutes sortes d’individus peuvent aussi être concernés, aidés en cela par les «marabouts». Le désir de richesse, la jalousie, la volonté de nuire, la recherche du pouvoir politique, le désir de triompher sur ses adversaires, l’amour… sont des motivations assez communes. En effet, il y en a qui veulent s’aliéner l’amour de leur partenaire, amant(e) ou époux(se), la volonté de leur patron pour des avantages de service, avancement ou augmentation de salaire, d’autres pour gagner un procès en «maraboutant» avocat, juge et procureur, d’autres pour gagner des marchés contre des concurrents ou pour guérir de quelque maladie, par exemple vaincre la stérilité, etc. La liste est aussi longue que le sont les soucis, les intérêts et les préoccupations des individus qui vont au cimetière pour y trouver des solutions que leur indiquent les spécialistes en sciences magiques.

Ce qui est certain, c’est que les pratiques magiques ou dites mystiques qui se font dans les cimetières sont inscrites, quasiment toutes, dans la symbolique de la mort, dans la pure négativité, dans la destruction, l’annihilation et la néantisation d’autrui (ennemi, concurrent, opposant, adversaire, partenaire…), afin de le priver de sa volonté d’action et de réaction, en le faisant être pour soi tel un cadavre soumis. La mort appelle la mort et exhumer un cadavre, c’est être animé d’intentions on ne peut plus meurtrières, funestes et abominables. Tout ce que l’on fait dans les cimetières est foncièrement mauvais et relève du maléfique, contrairement aux pratiques qui sont opérées, par exemple, dans les mosquées et dans les marchés, qui participent, en revanche, du bénéfique. Elles n’en sont pas cependant moins «magiques» et interdites par la religion. De telles pratiques, qui défient tout bon sens et qui sont maintenant lésion dans notre pays, dénotent que notre société est gravement atteinte et malade pour des raisons qu’il faudrait étudier, en s’interrogeant sur la relation devenue conflictuelle et problématique aujourd’hui entre individualisme et communautarisme, de la relation axée sur le conflit entre l’identité moderne individuelle d’émancipation et l’identité traditionnelle communautaire.

C’est comme si notre société était traversée par une mentalité paranoïaque ?

Oui, notre société moderne est en train de verser quasiment, en s’y réfugiant, dans une mentalité «paranoïaque» où la croyance généralisée que le maraboutage est une solution à nos maux ne le cède qu’à la suspicion et à l’angoisse diffuse que nous sommes tous plus ou moins sous «maraboutage», si bien qu’il est sage de se protéger; sinon en s’attaquant «mystiquement» à nos prétendus ou réels ennemis ou alors en opérant des «maraboutages» de défense pour que «qui s’y frotte s’y pique».

Je crois qu’il ne faut pas se faire d’illusion; les cimetières seront aussi longtemps visités et les tombes profanées que les mentalités seront habitées par la croyance que les pratiques magiques sont plus opérantes et efficaces que le mérite personnel et les actes de pure dévotion religieuse, et aussi et surtout tant que le sens moral et la foi religieuse resteront au degré zéro des intentions.

Sud Quotidien

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