Le clash ! Quel impact sur le hip hop ?

Toutefois, le mouvement hip hop au Sénégal a été épargné par cet aspect sulfureux de l’expression urbaine qui mêle brutalité et condescendance, opiniâtreté et niaiseries ; mais seulement jusqu’à l’avènement de Rap’Adio en 1998.

Xibaru Underground ! Voici le titre du morceau qui finit par installer le « clash » dans le rayon des outils d’expression urbaine que bien des acteurs du mouvement s’emploieront à utiliser.

Que disait le trio encagoulés dans cet opus si ce n’est « ce que vous faites n’est pas bon ».

En réalité, la contestation des groupes de rap qui étaient en vue et de leurs œuvres audio-phoniques dirigée par le belliqueux Daddy bibson ne reposait sur aucun fondement objectif.

Le message consistait à faire passer la musique rap, et en corollaire toute la culture hip hop, pour un instrument de lutte de classes, une espèce de sacerdoce confiée au poète urbain qui se donne pour mission l’éveil, la conscientisation des masses, et se voit ainsi porte étendard des laissés pour compte.

Seulement, force est de reconnaître que le rap n’est rien d’autre que de la musique. Il ne peut se faire sous aucun autre aspect en dehors de celui artistique, celui là même qui réclame de l’acteur une aisance oratoire, en outre d’un degré de compréhension élevé des questions de son époque.

C’est dans cette optique, sans nul doute, que ces mêmes MC qui dénonçaient, à en arriver à un pugilat verbal, ce qu’ils prétendaient être les dérives de leurs pairs de l’époque s’acoquinent de nos jours avec ces derniers et font cause commune, se partageant le micro et chantant pour faire reculer le paludisme, ou encore inciter les populations à s’inscrire sur des listes électorales.

Est ce que le clash est une affaire d’opportunisme ou de conviction ? Nous serions tenté de répondre par la première.

Tout d’abord, au Sénégal, un constat est édifiant : celui qui est à l’origine du clash est souvent inconnu au bataillon ou tout au mieux réputé que dans l’underground, celui qui est la cible du clash est, au contraire, très souvent populaire. Cela nous interroge sur la sincérité des clash puisqu’il est tout à fait admis que les MC peu connus ne sont presque jamais cibles de clash.

Ainsi donc, Rap’Adio souleva une vague de contestataires qui penseront trouver en ce mode d’expression le moyen de répandre leur vision. En cela, le rap au Sénégal restera une bonne décennie dans le stéréotype, avec un afflux massif des jeunes dans l’exercice du rap.

Les groupes prolifèrent, les moyens restent dérisoires, les structures inexistantes. L’avenir est plus qu’incertain.

Avec l’essor du groupe de Grand Dakar, des émules naquirent et des groupes comme BMG 44, Sen Kumpa, Underground P.A commencèrent à se faire de la place sous l’aile protectrice du style hardcore, unidirectionnel et souvent teinté de violences qui fut à son apogée à l’orée des années 2000.

Par conséquent, il est inutile de rappeler qu’aller à un podium de rap en ces temps était comme se préparer à entrer dans une arène de streetfight.

C’est fort de cela que le public au Sénégal avait commencé à délaisser les manifestations organisées par les acteurs du Hip hop.

Rap’adio avait capitalisé sur l’engouement et l’intérêt qu’avait suscité Xibaaru Underground pour mettre sur le marché un second opus qui ne voyait pas la participation de leur mentor lequel fut remplacé sans tambours ni trompette par un non moins frère du groupe Makhtar le Kagoular.

Avec ce dernier, le groupe de rap qui avait finit de soumettre presque tous les acteurs du rap au Sénégal s’attaqua dans ce nouvel opus à la musique la plus populaire du pays, le Mbalakh et à ces praticiens et adeptes. Ils traitèrent le Mbalakh de musique sans base, sans temps ni tempo, et plus encore.

Un franc succès était encore une fois au rendez vous, peut être même un succès énorme qui finit par imploser le groupe.

Hélas, après avoir fait des pairs rappeurs les ennemis, et après les avoir dominés passer au Mbalakh et à ses danseurs, Rap’Adio était devenu son propre ennemi.

La nature ayant horreur du vide, aussitôt le roi mort et comme pour lui faire un doigt d’honneur, une connexion d’artistes assez bien connus dont un ancien membre du Rap’Adio commence à voir le jour et le projet souvent discuté et attendu dans les milieux nocturnes et lieux de plaisirs de Dakar sort au grand jour. Dakar all Star naît sur les cendres de Soldaru Mbedd.

Ils seront accompagnés dans cette nouvelle configuration du rap au Sénégal par des groupes comme le PBS des Awadi, Carlou D et Baaye Souleye qui était forcé à un silence brutal pendant tout le règne de Rap’Adio. La parole commençait à se libérer. Des rappeurs osaient à nouveau parler de choses comme Fifi, chanter l’amour, louanger et faire rire.

L’ambiance des soirées recommençaient à devenir festive, le nouveau style copié sur les vidéos de Trace TV rencontre un grand succès auprès de la gente féminine qui fréquente de plus en plus les milieux hip hop de la capitale sénégalaise. Et enfin, les home studios sont démocratisés et on en compte dans chaque quartier.

Le mouvement Hip hop semblait prendre un virage à 180 degrés. Toute chose qui ne plaisait pas à un grand nombre de MC underground, nostalgiques des années Rap’Adio.

L’un d’entre eux, inconnu jusqu’à ce printemps 2007, prit son kalashnikov, cette arme d’assaut russe prisée par les rebelles et guérilleros, les soldats de la résistance qui veulent remettre en cause l’hégémonie d’un projet.

Mc shut the f**k up ! Nitdoff Killah entre de plain pied dans la scène rap du hip hop au Sénégal.

Les Dakar All Star, le PBS, Fata et même le téméraire et volubile feu Pacotille ne sont pas du tout épargnés. Le MC natif de Louga fonde sa révolution à lui, développant cependant les mêmes théories et visions du rap que ses ainés du Rap’Adio.

Chanter l’amour, parler de la prostitution déguisée ou juste divertir est une abomination à ses yeux.

Il prône le Gangsta Rap dans ce tube qui fera vibrer toute la frange des acteurs instruits dans le principe que le rap est la voix des sans voix.

Mais tout comme ses aînés dans le clash, il connaîtra une ascension fulgurante. Doté de moyens peu communs dont on n’ignorera certainement les origines jusqu’à nos jours, Nitdoff fait la promotion de sa musique. Ses textes acerbes, à la prose virulente sont repris et chantés par les plus jeunes, même dans les coins les plus éloignés de la capitale.

L’initiateur du Show of the Year tient le mouvement en haleine, les anciens sont dans l’expectative.

Nous savons, et très certainement, qu’il a eu recours à l’intimidation pour calmer les ardeurs des plus bellicistes des MC. Nitdoff a toujours fait, pendant cette période, de sa salle de musculation un moyen probant d’annihiler l’adversité. Le micro, si ça marche pas, les muscles. Il en fut ainsi.

N’eût été l’épisode fâcheux où sa véracité dans sa Thug attitude a été mis à l’épreuve et qui généra des blessés dont au moins un cas grave admis à l’hôpital de Saint Louis, Nitdoff aurait continué dans cette voie du gangsta rap en intimidant, attaquant et offensant ses pairs rappeurs qui ne partageraient pas ses opinions.

Heureusement pour lui et le rap au Sénégal, Canabasse l’a défié et tous les deux en ont bien appris.

Seulement, ce dernier clash est peu comparable aux précédents parce qu’on en connaît pas un regain d’intérêt pour le rap. Contrairement aux autres clash, celui-ci se portait en marge du mouvement hip hop qui restait plus que jamais divisé, tant certains soutenaient l’un ou l’autre.

Canabasse pensait il faire à Nitdoff ce que ce dernier fit aux aînés ? Tout porte à le croire.

La stratégie de Nitdoff ayant marché au vu du public toujours en constante augmentation, les autres « voix des sans voix » empruntent la même recette pour faire fonctionner leur campagne et prévaloir leurs opinions et points de vue sur l’ensemble du mouvement hip hop.

Désormais, quiconque se risque à émettre des jugements sur le bien fondé de la lutte de Y en a Marre, ou toute autre idée qui va à l’encontre des opinions de ces artistes-lanceurs de pierre est désigné à la vindicte. Un groupe de rappeurs, une poignée de MC dirige le mouvement hip hop, parle en son nom, l’engage et s’en sert.

Ceux qui ne veulent pas se compromettre sont invités à faire profil bas, et le pauvre Gaston qui a voulu s’ériger en trouble-fête en a fait les frais au détour de sévices corporels durement appliqués.

Ne dit-on pas qu’il n’y a que la dictature qui marche ? Qu’elle soit celle de l’argent, de la force ou du pouvoir importe peu.

Les analystes pensent que le mouvement Hip Hop se porte mieux, le rap va bien s’entend-on dire. Cela, parce que, courtisé par les politiques et autres hommes d’affaires qui en font un cheval dans la bataille de l’opinion ; quelques financements commencent à poindre. Aussi, le rappeur confiné dans son quartier de banlieue, décrépi et incrédule, se voit accorder un semblant d’importance et en tire une fierté sans commune mesure. Le mouvement va sûrement bien, les manifestations, jets de pierre et arrestations stimulent.

Des MC qui, jadis, peinaient à organiser un spectacle digne de nom se font inviter en Europe, aux USA et même accueillis à la Maison Blanche, si ce n’est pas eux qui accueillent le Ministre français des Affaires Etrangères ou même le « célébrissime » milliardaire Georges SOROS.

Nous assistons encore une fois à une division du mouvement Hip Hop au Sénégal qui recommence ses sempiternelles discussions houleuses autour de la vocation du Hip Hop et, au delà, de la musique Rap en elle même.

Les plus jeunes, toutefois, n’ont pas pris le parti des aînés. Ils réclament carrément et de toute bonne fois leur retraite artistique. De nouvelles têtes émergent et se disputent la couronne du roi du Rap. La conséquence la plus immédiate de cette rebuffade affichée est le dénigrement constant dont font l’objet les animateurs de radio et télés orientés Hip Hop et les différents concours de rap organisés, jusqu’aux récents Galsen Hip Hop Awards.

Une rivalité accrue s’installe d’abord entre les deux jeunes étoiles montantes de la banlieue. DIP, Ngaaka. Ngaaka, DIP. Les fans sont euphoriques. Chacun de leurs singles est bien reçu par le public. Les débats vont jusque dans les séjours. Le mouvement est en presque ébullition.

Et comme si cela ne suffit pas, Nitdoff enclenche une série de concerts qui finit en apothéose par le Show Of The Year, au stade Iba Mar DIOP de Dakar.

Alors, nul ne pouvait croire que le mouvement Hip Hop ne se porte pas bien.

Sauf qu’en outre de l’opposition croissante entre anciens et plus jeunes, le dénigrement total des auxiliaires du mouvement que sont les animateurs radio et télés, le clash revient à toute allure et cette fois entre jeunes prodiges du Rap.

Des anciens, du groupe Keur Gui à Makhtar Le Kagoular, ayant certainement vu l’issue malheureuse que peut réserver cette nouvelle tournure du mouvement Hip Hop au Sénégal ; tentent de prévenir. Les réseaux sociaux enregistrent un nombre important de déclarations, de vidéos dans lesquelles certains prennent position, tandis que d’autres essayent de garder les jeunes à bonne distance.

Beaucoup de ceux qui recommandent de rester dans le clash sans propos injurieux, ont à maintes reprises au cours de leur carrière injurié et tenu des propos aigres à l’encontre de personnalités notables du Sénégal. Après avoir assis leur notoriété sur l’insulte facile, diffamant et médisant, ils pensent aujourd’hui pouvoir donner des conseils aux jeunes, comme si ces derniers les écoutaient d’ailleurs, en se voyant dans le reflet de ce qu’ils ont aidé à construire.

Mais les nouveaux princes du rap au Sénégal ne se limitent pas aux injures. Ils ne se contentent pas des effronteries répétées, ne se suffisent pas des âneries débitées à longueur de morceaux. Ils creusent, cherchent à montrer les plagiats et imitations que chacun pourra faire.

C’est dans cette optique que le mouvement Hip Hop au Sénégal apprend, avec stupéfaction, que les créations de Omzo du label Buzzlab ne sont pas originales, et qu’elles sont empruntées à d’autres MC nord américains. Le camp de DIP n’est pas épargné par ces dévoilements, l’onde de choc se propage jusque chez leur vidéaste. Les appels téléphoniques entre les protagonistes sont enregistrés et diffusés sur Youtube. Les singles se font plus cinglants.

Il est vrai que le clash fait partie intégrante de la culture Hip Hop, tout comme le Battle, si nous nous arrêtons à la constatation faite ici. Nul ne peut, aujourd’hui, embrigader l’expression artistique d’un MC. Le créateur de Rap est plus que jamais libre de dire ce qu’il pense d’un quelconque individu public, d’une œuvre d’art ou d’une politique menée. C’est le propre même de nos sociétés modernes, démocratisées à outrance et où la parole se veut libre et libérée.

Mais malgré cet état de fait, des inquiétudes demeurent quant à l’impact réel de tous ces clashs sur le mouvement Hip Hop au Sénégal. A l’analyse, le rapport est mitigé.

Très efficace pour donner un coup de boost à un mouvement Hip Hop somnolant, le clash ferme, néanmoins, les portes de la créativité.

Sous d’autres cieux, le clash est mené pour des raisons de marketing et assure souvent aux MC des ventes considérables et ainsi des retombées financières les mettant à l’abri.

Est-ce la même réalité au Sénégal ?

Même si Rap’Adio par le passé et Nitdoff en ont tiré profit, il n’en va pas de même pour les jeunes auteurs de « Kantambiuw » et « Dëggëntaan ». Le second préfère offrir ses produits au public par téléchargement gratuit depuis internet, pendant que TLK se vend passablement bien.

Peut-être devrions nous arriver à établir un mode de désignation du vainqueur de clash par le public. Peut-être que cette solution aidera à se faire une visibilité sur ce phénomène qui s’amplifie chaque jour.

Elhadji Toure (Rédacteur Galsen Genius Mag)

1 COMMENTAIRE
  • abdoul aziz

    1 km de texte sans les rimes imags de GANG PINAL.(aims, has, morts, vivants, endormis….) Meutoul. Amena lou dess si texte bi

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