« Inondation à Dakar : Plusieurs causes, une solution » (Par Abdoul Aziz Ndiaye)

Les inondations de la semaine passée furent un moment éprouvant pour bien des dakarois et au-delà des dégâts matériels, les pertes en vies humaines et la récurrence de ces inondations ont à juste raison suscité des interrogations et ouvert la porte à des supputations diverses (D’aucuns ont avancé la thèse du sabotage des canaux de drainages où l’on a retrouvé du sable et d’autres ont
mis en cause les travaux du BRT).

Faisant nôtre ces interrogations, nous avons voulu réfléchir sur la problématique des inondations à Dakar pour tenter d’éclairer la lanterne des profanes.

Pourquoi y’a-t-il eu des inondations à Dakar ?
L’eau est une ressource vitale, elle est à la base de la vie sur la planète. Elle se renouvelle régulièrement selon un cycle particulier : le cycle de l’eau. La pluie est une partie de ce cycle. L’eau des mers s’évapore et se transforme en nuages qui sous l’impulsion du vent, se déplacent. Puis arrive un moment où à causes de contraintes physiques, l’eau contenue dans les nuages tome sous forme de précipitations (pluies, grêle, neige). Une fois sur terre, une partie de cette eau s’infiltre dans le sol, une autre partie reste à la surface et ruisselle pour retourner à la mer et recommencer le cycle.

C’est cette deuxième partie de l’eau, qui cherche à retourner à l’eau, qu’on a vu s’accumuler dans la ville de Dakar lors des inondations. A la lumière de cette introduction, deux questions se dégagent : Si le ruissellement est naturel, pourquoi y’a-t-il régulièrement à Dakar des inondations et pourquoi la dernière en date a telle été aussi importante.

Les causes principales sont au nombre de trois. Il s’agit de trois facteurs qui, isolés n’entrainent pas des inondations, mais dont les effets cumulatifs peuvent occasionner les faits de la semaine dernière. Ce sont ces facteurs qui, interagissant ensemble, ont concouru aux inondations. Ils constituent ce que nous pourrions qualifier métaphoriquement de Triangle des inondations. Ces trois facteurs sont : une urbanisation galopante et mal planifiée, une intensité pluviométrique forte et une insuffisance des installations de drainage des eaux pluviales. Nous allons tour à tour dire en quoi ils auront été décisifs dans ces événements.

Il y’a d’abord l’urbanisation mal planifiée et incontrôlée. L’urbanisation peut être définie comme la surface de terre occupée par les constructions humaines -routes, allées piétonnes, quartiers remplis d’immeubles. Ces constructions imperméabilisent les sols et empêchent à l’eau de s’infiltrer correctement, ce qui a pour effet d’augmenter la quantité d’eau ruisselante. En plus, Dakar fait face, depuis de nombreuses années à un phénomène de constructions anarchiques dans des zones non aedificandi – des zones inondables, des points où l’eau a naturellement tendance à s’accumuler -.

Ce développement urbain sur « les chemins de l’eau » généralement de basses altitudes expose les maisons et les gens qui y vivent à des risques d’inondations. Pour ces gens-là, la moindre petite pluie devient un danger et une source d’accumulation d’eau. Ce sont toujours les quartiers les plus touchés. A cette urbanisation dont nous avons vu les effets, s’est ajouté le deuxième facteur : l’intensité de la pluie, 128mm selon les chiffres officiels et ce, sur un temps très court. On considère qu’en milieu urbain à 100mm sur une heure, nous avons une pluie intense pouvant entrainer des inondations. A cet égard, la pluie de la semaine dernière fut donc une pluie forte. Cela signifie qu’il est tombé beaucoup d’eau en peu de temps.

D’ailleurs les modèles climatiques globaux et régionaux s’accordent pour dire qu’en Afrique de l’Ouest, les pluies deviennent de plus en plus courtes et intenses en raison des changements climatiques dont les effets se font sentir partout autour du globe. Cette intensité pluviométrique a entrainé la surcharge rapide des canaux de drainages qui ne pouvaient pas évacuer un volume aussi important d’eau en même temps. L’eau non prise en charge a ainsi stagné et augmenté le volume d’eau déjà important qui se trouvait dans les grandes artères de la ville. Enfin il y’a l’insuffisance d’infrastructures de drainages des eaux qui fait que les eaux ne sont pas détournées vers suffisamment de canaux capables de les acheminer vers leur destination naturelle.

Certaines causes avancées dans la presse ont été écarté de notre réflexion comme par exemple la thèse du sabotage des canaux. Un phénomène physique à prendre en compte est que l’eau en ruisselant à la surface va entrainer une érosion du sol, il va emporter sur son passage du sable et des débris d’origines anthropique ou végétal. Ce sont ces débris qui ont enlisé et bouché les canaux d’évacuations. Ceux qui ont parlé de probables actes de sabotages se trompent donc, l’obstruction de ces canaux est une conséquence du trop plein de d’eau et de ses corollaires. Nous écartons de même, l’hypothèse de la responsabilité des travaux du BRT dans ces inondations.

En science, une hypothèse doit être validée par des études scientifiques, ce qui n’est pas encore le cas pour de l’affaire qui nous occupent. Il serait donc présomptueux de s’avancer à des affirmations. D’autant plus que les partenaires financiers comme la banque mondiale dans le cadre des travaux financés, exigent de nos jours à nos états de faire des études d’impacts environnementales et sociales, où l’on cherche à mesurer les impacts d’un ouvrage et à proposer des mesures d’atténuation lorsque ces effets sont négatifs. C’est d’ailleurs un outil consacré, dans la Loi portant Code de l’Environnement au Sénégal. Au vu de ce qui précède cela nous étonnerait donc beaucoup que la question des inondations n’ait pas été soulevée et prise en compte avant l’exécution des travaux.

Peut-on définitivement sortir de ces inondations annuelles ?

Avant d’aller plus loin, replongeons-nous dans l’année 1852, Paris est alors sale, les rues sont étroites, des odeurs nauséabondes incommodent les citoyens, la voirie et les canalisations sont insuffisantes. Paris a une densité de population très grande, l’urbanisation de la ville est mal gérée. Napoléon III trouva cet état de fait incommodant pour une capitale administrative et senti l’urgence de la situation. Pour régler le problème de gigantesques travaux, étalés sur une vingtaine d’années sont entrepris, Paris est démolie pour être embellie : ce sont les travaux haussmanniens. Ils remodèleront totalement la capitale française et en feront l’une des plus belles au monde. A la lumière de ce fait d’histoire qui s’il est quelque peu long à raconter, a son utilité dans la suite de notre argumentaire, nous pouvons facilement comprendre qu’un parallélisme peut être fait, sous certains aspects entre ce Paris de 1852 et le Dakar de 2022.

Ce parallélisme de situation entraine un parallélisme de solutions, en effet nous considérons que s’il y’a eu plusieurs causes aux inondations dakaroises, il n’y a en revanche qu’une seule et unique solution : le lancement de grands travaux de réaménagement de l’espace urbain et de constructions de canalisations. Il nous faut repenser intégralement la manière dont nous occupons notre espace, car c’est un écosystème où ne somme pas seuls. Bien des processus naturels que nous devons intégrer s’y déroulent.

Ces travaux nécessaires à l’amélioration des conditions de vies de la population dakaroise devront être impulsées par une vision politique et mise en œuvre par des hommes d’actions et de savoirs. Il faudra à ces travaux, un financement innovant et ambitieux, mais aussi et surtout une démarche participative permettant aux acteurs de comprendre le temps et les sacrifices que ces travaux requerront. Pour avoir une capitale à la hauteur de nos ambitions, je crains qu’il ne nous faille en passer par là. Et au-delà de cette problématique des inondations, c’est notre rapport entier avec la nature qui est doit revue et repensé, si nous voulons dans un contexte de bouleversement de nos écosystèmes, être plus résilients et maintenir notre cap vers le développement.

Abdoul Aziz Ndiaye
Etudiant en Master 2 Ingénierie et Gestion de l’Environnement Option : Gestion des Ressources naturelles et Risques
Université Iba Der Thiam de Thiès

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