Éthiopie : la contestation provoque la paranoïa croissante d’Addis-Abeba

Le gouvernement éthiopien a accusé, lundi, des « ennemis extérieurs » d’être à l’origine du mouvement de protestation qui agite le pays depuis plusieurs mois. Un signe de panique du pouvoir face à l’enracinement des mouvements anti-gouvernementaux.

C’est un grand classique des régimes autoritaires : accuser des puissances étrangères de venir troubler la tranquillité idyllique de leur pays. Aux prises depuis plusieurs mois avec d’importants mouvements de contestation dans le nord et le centre du pays, le gouvernement éthiopien a cédé à la tentation, lundi 10 octobre, en dénonçant vivement des « ennemis extérieurs » qui cherchent à « déstabiliser » le pays en fournissant armes, argent, et entraînement à ses opposants.

Au lendemain de la proclamation de l’état d’urgence pour une durée de six mois, le porte-parole du gouvernement, Getachew Reda, a nommément cité l’Égypte et l’Érythrée, deux pays en froid avec Addis-Abeba respectivement pour le partage des eaux du Nil et des questions frontalières.

« Ce n’est pas la première fois que le gouvernement éthiopien pointe du doigts des pays étrangers. C’est comme les accusations de terrorisme contre les opposants, c’est quelque chose de récurrent en Éthiopie », explique Clélie Nallet, chercheuse associée à l’Institut français des relations internationales (Ifri).

« C’est le coup classique du bouc émissaire, qui traduit la panique des dirigeants face à une véritable crise de régime », renchérit René Lefort, auteur de « Éthiopie, la révolution hérétique ».

« Il y a une véritable paranoïa au sommet de l’État et il est tout à fait possible que le gouvernement éthiopien soit persuadé que les services secrets égyptiens et érythréens soient impliqués dans le mouvement de contestation actuel », précise cependant le spécialiste de la Corne de l’Afrique.

Émeutes et rancunes ethniques

La déclaration du porte-parole du gouvernement éthiopien fait effectivement suite à une semaine de troubles dans la région oromo, dans le centre et l’ouest du pays, où les manifestations violentes contre les bâtiments publics et les installations d’entreprises étrangères se sont multipliées.

Les opposants oromos, dont l’ethnie représente 37 % de la population éthiopienne, sont vent debout contre la minorité tigréenne (6 % de la population), qui dirige le pays depuis 1991. Ils demandent notamment une meilleure représentation politique et l’annulation de projets d’expropriation de terres.

Le début de leur mouvement remonte à novembre 2015, quand les autorités ont annoncé un plan d’extension de la capitale fédérale, Addis-Abeba. Ce projet d’agrandissement, synonyme d’expropriations de masse des fermiers oromos des environs, a été mis en échec après deux mois de manifestations.

Ce recul inhabituel du pouvoir éthiopien a donné des ailes aux opposants oromos, qui ont poursuivi leurs manifestations pour dénoncer la monopolisation de l’appareil d’État par la minorité tigréenne.

Malgré la répression des autorités et la mort d’au moins 500 personnes, selon des organisations de défense des droits de l’homme, le mouvement de contestation a résisté et même pris de l’ampleur.

Jeunesse anti-autoritaire

Le départ cet été d’un mouvement de contestation amhara, la deuxième ethnie du pays avec 29 % de la population, a accentué la pression sur le pouvoir. Bien que les demandes amharas portaient sur un problème territorial dans une autre région du pays, c’est de nouveau la minorité tigréenne qui se retrouvait dans le collimateur.

« La grande peur du gouvernement est que les Omoros et les Amharas joignent leurs forces. Pour l’instant ils manifestent chacun de leur côté, il n’y a pas d’organisation commune. Tout l’enjeu est là pour le gouvernement », décrypte Clélie Nallet.

La jonction entre ces deux mouvements populaires est entravée en partie par un lourd contentieux historique – les Omoros ont été victimes d’un sanglant projet de colonisation par les Amharas à la fin du XIXe siècle.

Mais, selon René Lefort, les revendications des jeunesses omoros et amharas pourraient bien agir comme un catalysateur commun.

« Il y a de véritables similitudes chez les jeunes du fait de la massification de l’enseignement en Éthiopie. Il y a de plus en plus de jeunes diplômés et pas suffisamment d’emplois, ce qui alimente la frustration et le ressentiment contre le régime », explique le chercheur.

« En ce qui concerne la jeunesse, on est vraiment dans un mouvement contre l’autoritarisme très similaire à ceux du Printemps arabe ».

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